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d’entre eux à l’arrière-plan de leurs rêves patriotiques et entrevue seulement comme un lointain mirage, formait, au contraire, dans sa conviction obstinée, le but secret des efforts de leurs hommes d’État. Le pacifisme crédule et confiant des radicaux et des socialistes français, qui s’était étalé au grand jour dans leur résistance au rétablissement du service militaire de trois ans, restait pour lui lettre morte.

Une opinion enracinée, si contraire à la vérité, fait douter de sa sincérité. Le Kaiser était-il faussement renseigné sur les véritables intentions de la France, ou cherchait-il, dans les projets hostiles qu’il lui prêtait, un prétexte pour motiver une agression ? Voilà ce qu’on est en droit de se demander aujourd’hui.


V

Jusqu’au dernier moment, l’Empereur a compté sur la neutralité de l’Angleterre, quelle que fût la cause du conflit qui éclaterait entre la Triplice et la Duplice. C’était oublier trop légèrement tous les griefs nourris contre lui dans le Royaume-Uni, alors qu’ils n’étaient sortis ni des mémoires ni des cœurs britanniques : le fameux télégramme au président Kruger lors du raid Jameson en 1895, manifestation intempestive qui abusa complètement le vieux patriote de Johannesburg sur l’appui éventuel du Kaiser ; la campagne de dénigrement contre l’Angleterre, menée quatre ans plus tard en Allemagne, dès l’ouverture des hostilités contre les Boers ; enfin et surtout l’énorme accroissement de la marine allemande, annoncé par le prince de Bülow et l’amiral de Tirpitz immédiatement après les premiers revers des Anglais.

Guillaume II ne se souvenait-il pas non plus de l’attitude résolument hostile du Cabinet britannique pendant la Conférence d’Algésiras et, plus récemment, au cours des négociations franco-allemandes qui suivirent le coup d’Agadir ? Il s’imaginait sans doute, comme beaucoup d’Allemands, que l’appui prêté par l’Angleterre à la France ne dépasserait pas certaines limites morales et géographiques : il devait se borner à faciliter la solution du problème marocain, puisque à Londres on s’était engagé à aider à l’établissement du protectorat français au Maroc, et aux questions méditerranéennes où les vues des deux pays étaient connexes. L’opinion régnait en Allemagne