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fête touche à sa fin ; les couples qui ont exécuté avec une précision militaire des danses anciennes très compliquées, officiers de la Garde et jeunes filles de l’aristocratie, se réunissent pour une dernière figure, avant de s’éparpiller joyeusement dans les salles du souper. Ils s’inclinent avec respect à diverses reprises aux sons de la marche royale, en rétrécissant chaque fois leurs rangs en demi-cercle, devant l’estrade où l’Impératrice se tient, seule, debout. Les cheveux tout blancs relevés et surmontés d’une couronne de diamans, un collier de perles inestimables au cou, la taille restée droite et bien prise, le corsage barré par le ruban jaune de l’Aigle noir, un sourire de bienveillance sur les lèvres, la souveraine a grand air en recevant les hommages et les remerciemens de cette jeunesse.

Au demeurant, une vraie mère de famille et une bonne ménagère allemande, soigneuse de la santé de son mari, plus préoccupée de ses enfans que de ses sujets. Comme maîtresse de maison, elle a fort à faire. A elle d’apaiser les petits orages de la Cour, de réconcilier le Kronprinz avec son père après chaque nouvelle incartade de ce turbulent héritier, ou d’amener l’Empereur à consentir au mariage morganatique d’un autre de leurs fils, éperdument amoureux d’une simple demoiselle d’honneur. Préparer les arbres de Noël dans le « Muschelsaal, » la salle aux coquillages du palais rococo de Potsdam, voilà son grand plaisir à la fin de l’année ; rendre la vie de famille dans les demeures royales aussi « gemütlich » qu’elle peut l’être au foyer d’un petit hobereau prussien, c’est là son principal souci. Pour elle, comme pour les autres souveraines, les œuvres de protection et de bienfaisance chrétiennes constituent un devoir protocolaire qu’elle remplit régulièrement. Elle patronne même quelques ventes de charité où sa présence stimule la générosité, parfois hésitante, des acheteurs. Mais ne lui demandez pas les initiatives charmantes, les gestes délicats d’une reine attirée par la souffrance ou par le talent, comme la reine des Belges. Les goûts artistiques de l’Impératrice se modèlent fidèlement sur ceux de son mari ; elle ne voit que par ses yeux et n’admire de bonne foi que ce qu’il daigne approuver.

Le trait distinctif de son caractère est un protestantisme rigide, intransigeant, ne souffrant la présence d’aucune dame catholique parmi les dames d’honneur, ni d’aucune servante de