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avec lequel la nation germanique tout entière se lèverait pour repousser l’ennemi traditionnel. Le général de Moltke tint les mêmes propos menaçans à l’attaché militaire belge qu’il avait, comme voisin de table, le même soir. Il ne se montra pas plus réservé dans la suite, m’a-t-on dit, avec d’autres attachés militaires qu’il honorait de sa confiance ou qu’il voulait impressionner.

Quel était le but de ces confidences ? Il n’est pas difficile de l’entrevoir. Elles étaient une invitation à se jeter, en présence du danger suspendu sur l’occident de l’Europe, dans les bras du plus fort, des bras prêts à s’ouvrir pour étreindre la Belgique, — quitte ensuite à l’étouffer ! — Quand on songe à l’ultimatum notifié le 2 août suivant au gouvernement belge, on voit à quel acte de complaisance et de lâcheté l’empereur Guillaume aurait voulu, par l’entretien de Potsdam, disposer déjà le roi Albert.

La conversation des deux souverains a été rapportée à l’ambassadeur de France, ainsi que le constate une dépêche de M. Cambon, insérée au Livre jaune de 1914. Cela fut fait dans le seul espoir que la catastrophe d’une guerre entre la France et l’Allemagne pourrait être encore écartée. L’intérêt supérieur de l’humanité exigeait que le gouvernement français fût averti que l’Empereur avait cessé d’être partisan de la paix et qu’il envisageait une nouvelle guerre d’un œil calme, comme une nécessité fatale. Au gouvernement français, dont les sentimens étaient restés pacifiques, quoi qu’en pût penser Guillaume II, de veiller à ce que des incidens ne se produisissent pas, qui n’auraient plus été susceptibles d’être aplanis, parce qu’on les aurait considérés à Berlin comme des provocations.

L’état mental de l’Empereur, devenu très nerveux et très irritable, le rendait-il aveugle à l’évidence et sourd à la persuasion ? Que la France, condamnée à un voisinage où des forces militaires écrasantes constituaient pour elle une menace toujours en suspens, se soit armée principalement pour conserver sa sécurité nationale, pour n’être pas à la merci d’événemens inattendus ou de calculs impitoyables, cette vérité dont la clarté éclate aux yeux des observateurs impartiaux, Guillaume II ne voulait pas l’admettre. Une guerre de revanche était, — il s’en disait certain, — l’obsession de tous les Français. La reprise de l’Alsace-Lorraine, reléguée par la plupart