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malmené, que n’en lisait-il la contre-partie : les diatribes quotidiennes des journaux de son pays contre la France et le président Poincaré, visé particulièrement par la presse pangermaniste ? Certainement, cette guerre de plume était dangereuse autant que déplorable dans l’intérêt de la paix, mais elle était menée des deux côtés dans le ton et le style propres à chacune des deux races. Il suffirait, pour se faire une idée de la mauvaise foi, de la morgue et de l’insolence de certains publicistes allemands, de relire quelques-uns des articles dont le Dr Th. Schiemann, qui eut son heure de popularité et de faveur à la cour de Berlin, régalait chaque mercredi matin, dans sa revue politique de la semaine, les lecteurs francophobes et russophobes de la Gazette de la Croix.

Au lendemain d’Agadir, la guerre avec la France avait pris tout à fait dans l’esprit de Guillaume II l’aspect d’une nécessité inéluctable. Le 5 et le 6 novembre 1913, le roi des Belges fut son hôte à Potsdam, en revenant de Lunebourg où il avait fait une visite de courtoisie et d’usage au régiment de dragons dont il était le chef honoraire. Pendant ce séjour, l’Empereur annonça au roi Albert que la guerre avec la France était à ses yeux « inévitable et prochaine. » Quelle raison donnait-il de cette conviction pessimiste qui impressionna d’autant plus son royal visiteur que la croyance aux sentimens pacifiques de l’Empereur allemand n’était pas encore altérée en Belgique ? C’est que la France voulait elle-même la guerre et qu’elle s’armait rapidement dans cette intention, comme l’indiquait le vote de la loi sur le service militaire de trois ans. Guillaume II se disait en même temps assuré de la victoire. Le souverain belge, qui connaissait mieux les véritables dispositions du public et du gouvernement français, essaya vainement de l’éclairer et d’éloigner de son esprit la fausse image qu’il se faisait d’une France belliqueuse, d’après le langage d’une minorité de patriotes exaltés.

Le général de Moltke, chef de l’état-major, eut le 6 novembre, après le dîner auquel l’Empereur avait convié, en l’honneur de son hôte, les personnages officiels allemands présens à Berlin, un entretien avec le roi Albert. Il s’exprima dans les mêmes termes que son souverain à l’égard de la France et au sujet de la nécessité d’une guerre prochaine, insistant encore plus vivement sur la certitude du succès, en raison de l’enthousiasme