Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gendarmerie, c’est sûrement un fort joli poste. » Mais il voulait épouser une fille de quinze ans, à quoi son père s’opposa. Maintenant, cette fille est morte. Et Jabouille écrit à son père, aux fins de lui adresser un « terrible reproche. » Il affirme que, s’il avait épousé cette fille, elle ne serait pas morte ; « et j’aurais rendu à la société une aimable femme et une bonne mère. » Il ajoute : « Oui, j’ai considérablement perdu. Figurez-vous une femme pleine de talens, de douceur, de beauté, parlant trois différentes langues et les écrivant de même, enfin dont l’éducation a plus coûté que n’ont vaillant toutes les filles de Pionsat… » Pionsat, près de Montaigu-en-Combrailles, c’est le village de Jabouille… « Je ne pleure pas facilement ; mais, si vous l’eussiez connue, vous sentiriez ma douleur… » Jabouille pleure ; il avoue qu’il est las et qu’il va se coucher. Ce qui augmente son déplaisir, c’est ce qui lui permet d’y songer : trop de loisir ! Lieutenant de gendarmerie, avec les attributions de quartier-maître au service du trésor : un joli poste, oui, — « pour un capon, » — reprend Jabouille, qui est triste. Ses camarades se battent nuit et jour : ça les distrait. Mais lui, Jabouille : « Je n’ai plus l’avantage de voir l’ennemi !… » Jabouille eut bientôt l’avantage de revoir l’ennemi, de sorte qu’il oublia cette fillette de quinze ans. Il se maria et il eut un fils, qui fut officier dans la Jeune Garde.

Habituellement, l’amour et ses mélancolies ne tourmentent pas nos volontaires. Ainsi, Mme Desbruères, une maman qui demeure à Indre libre, ci-devant Châteauroux, se trompe lourdement lorsque, s’étant fait tirer les cartes, elle se figure que son fils André rêve d’une jolie maîtresse. Pas du tout ! « Je vous dirai avec vérité que j’ai eu beaucoup de chagrin en quittant Besançon, mais ce n’est pas pour les filles, c’est plutôt pour le vin à bon marché, tandis que maintenant nous ne buvons ni vin ni eau-de-vie, et, les trois quarts du temps, nous manquons de pain. » Une autre maman, la citoyenne Michel, a fait à son fils de sages recommandations. Sur le chapitre de l’amour, il ne répond seulement pas. Et, quant au vin, « je vous dirai qu’un militaire qui boit un petit coup et qui a la tête échauffée est heureux ; il n’a aucune inquiétude et souci jusqu’au lendemain… » La citoyenne Michel s’alarme-t-elle, à craindre que son fils ne soit un ivrogne ? « Non, ma chère maman, soyez persuadée que je me ressouviendrai toujours des principes que vous m’avez donnés. Quand j’aurai le plaisir de vous embrasser, je ne sentirai ni la pipe ni le vin… » Et il ajoute, corrigeant de gaieté sa tendresse : « Mais, pour la gale, il ne faut jurer de rien ! » Michel est un excellent fils. Il écrit