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Queen Elizabeth[1] et les cinq croiseurs de combat qui les ont déjà battus les auraient rejoints et forcés d’accepter la bataille.

Mais là encore, ce qui parait simple tout d’abord ne laisse pas d’être compliqué quand on en vient à l’exécution. L’adversaire est sur ses gardes. Si nombreux sont ses coureurs, si étroites sont les mailles du réseau de leur surveillance que, même en pleine brume, il ne serait pas aisé de passer inaperçu. Bien pis, l’effectif des appareils aériens anglais s’élève si rapidement, l’audace et l’esprit d’entreprise des pilotes de ces aéroplanes et hydravions, — auxquels se joignent les nôtres, ceux de Dunkerque, — en font des adversaires si gênans, des observateurs, en tout cas, si attentifs et si avisés, qu’il devient fort malaisé d’organiser sans qu’ils s’en aperçoivent une expédition de quelque portée. Là, donc, et comme pour les coups de main des flottilles, il est bien tard, trop tard, probablement…)


Résumons-nous ; et pour bien fixer les traits caractéristiques du débat, représentons-nous un vapeur anglais partant de New-York à destination de Londres vers cette époque-ci. Tout va bien pour lui jusqu’au large de la Grande Sole, à 500 ou 600 milles à l’Ouest-Sud-Ouest de Land’s end. Là, il est chassé brusquement par un grand croiseur allemand. Il est tard, heureusement, et l’arrivée d’une nuit sombre lui permet d’échapper, par miracle, à la poursuite. Le voilà dans la Manche. Un peu au Nord des Casquets, tout d’un coup, une longue traînée blanche sur la mer grise lui révèle une torpille qui, — par miracle encore ! — est passée derrière sa poupe. Un sous-marin allemand est là !… A toute vapeur et le cap sur le périscope, que l’on entrevoit à peine, à 700 ou 800 mètres ! Plus rien. Mais à la hauteur de la Hague, voici qu’un torpilleur français s’approche : « Ne franchissez pas le détroit ! On se bat aux Dunes et à l’embouchure de la Tamise. Les flottilles allemandes y sont ! » Notre vapeur rebrousse chemin. Décidément il ira à Liverpool. Dans la mer d’Irlande, nouvelle alerte, nouveau sous-marin, auquel on se dérobe par des changemens de route précipités. On touche au port : voici le bateau-feu North-West. Hélas ! une explosion soudaine ébranle le bâtiment. C’est une mine automatique. Par une chance bien rare, c’est l’extrême avant seul qui a

  1. Ce sont les derniers « Dreadnoughts, » cuirassés rapides (25 nœuds), portant 4 000 tonnes de pétrole et armés de S canons de 381 millimètres.