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d’abord de n’avoir à combattre que la France, la vieille et irréconciliable ennemie. La guerre future lui apparaissait comme un simple duel entre la République et l’Empire.

Il a espéré longtemps diviser ses adversaires et obtenir l’inaction de la Russie. L’alliance franco-russe n’était pas considérée à la cour de Berlin comme un bloc indestructible. L’accord de Potsdam, conclu par M. Kokotzow, et dont la portée était limitée, autant qu’on peut le savoir, à l’Asie occidentale, semblait autoriser d’amples espérances. Des avances répétées étaient faites au tsar Nicolas ; des entrevues avaient lieu où Guillaume II déployait, comme dans la visite à Port-Baltique, toutes les séductions de son intelligence pour enjôler le souverain russe et capter la confiance de ses ministres. L’Empereur m’a dit lui-même, quelques mois seulement avant la guerre, qu’on se faisait des illusions en France sur la solidité de la Double-Alliance : il était bien informé des véritables sentimens de la cour impériale par de hauts personnages russes qui, en passant par Potsdam, ne cachaient pas de quel côté allaient leurs sympathies.

Un des principaux axiomes de la politique de Bismarck était que l’Allemagne devait toujours s’efforcer d’entretenir de bonnes relations avec sa grande voisine du Nord. Ce sage conseil, que le chancelier n’avait pas suivi lui-même au Congrès de Berlin, a été négligé par ses successeurs. En mars 1909, Guillaume II, sur l’avis conforme du prince de Bülow, n’avait pas hésité à faire savoir à Saint-Pétersbourg qu’il se tiendrait résolument à côté de l’Autriche-Hongrie, si la discussion diplomatique engagée au sujet de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine dégénérait en un conflit. La démarche comminatoire prescrite au comte de Pourtalès était restée sur le cœur des patriotes russes, qui avaient été contraints de reculer devant cette menace. Mais à la cour de Berlin le souvenir en était effacé, car l’Empereur, — c’est encore un trait de son caractère, — oublie volontiers les mauvais procédés dont il est l’auteur. Il pratique le pardon de ses injures.

La guerre balkanique elle-même n’avait pas détruit complètement ses illusions. Elle avait montré pourtant la Russie et la France indissolublement unies et décidées à courir ensemble les mêmes risques et les mêmes périls. La main experte de M. Delcassé, envoyé comme ambassadeur à