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NAPOLÉON Á LAFFREY
7 MARS 1815

L’été dernier, quelques jours avant la mobilisation, comme je descendais la route de La Mure à Vizille, je fis le projet de revenir sur les bords des lacs de Laffrey, en ce début de mars, exactement un siècle après Napoléon. L’étape décisive de ce voyage de l’île d’Elbe à Paris, qui m’a toujours paru merveilleux comme un conte de fées, évoque en moi l’heureux temps où j’allai passer à Grenoble mon baccalauréat. En déjeunant à l’hôtel des Trois-Dauphins, je lus, sur le mur de la salle à manger, l’inscription qui commémore le séjour de l’empereur. Pour la première fois, moi qui n’avais pas quitté ma petite ville des bords du Rhône, je me trouvais devant un souvenir historique… Certes, au lycée de Tournon, faisant sonner mon jeune pas dans les allées du parc séculaire qu’emplit aux jours d’été le cri des cigales, j’aimais à me dire que j’appartenais à l’illustre collège fondé par le cardinal de Tournon, sous François Ier. Mon imagination ne demandait qu’à s’exalter ; et quand j’apercevais, de l’autre côté du fleuve, le coteau de l’Hermitage tout doré dans la lumière du soir, je songeais que le vin fameux dont parle Boileau, était déjà, d’après Hugo, celui


… qu’aimait le grand Pompée
Et que Tournon récolte au flanc de son vieux mont.


Pourtant, au fond de moi, la voix de ce bon sens qui abandonne rarement les gens de la vallée du Rhône, raillait mon enthousiasme et me rappelait que le célèbre vignoble avait été planté par des moines qui se fixèrent dans le pays au milieu du