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En réalité, les Allemands n’avaient pas battu en retraite. Ou plutôt ils ne s’étaient repliés que pour reprendre le contact plus loin et dans des conditions plus favorables. Renseignés sur le genre d’accueil qui les attendait à Dixmude, ils voulaient tâter un autre point du front, dans l’espoir que les « petits Belges » se montreraient de meilleure composition que les « demoiselles au pompon rouge. » Vers neuf heures, dans la matinée du 19, en trois bonds simultanés, ils se jetaient, à Leke, à Keyem et à Beerst, sur la mince ligne belge qui chancelait sous le choc. Pourrons-nous la soutenir à temps ? Qu’elle soit enfoncée, et c’est la route ouverte vers l’Yser, l’Yser emporté peut-être, Dixmude prise à revers. L’amiral n’hésite pas : toute la brigade donnera, s’il le faut. Il pousse à marche forcée deux des bataillons de sa réserve sur la route d’Ostende, un autre (commandant Mauros) en flanc sur Vladsloo et Hoograde. L’artillerie appuie le mouvement, qui commence à dix heures. Mais il est impossible de savoir si Keyem et Beerst sont aux mains des Belges ou des Allemands et, dans le doute, l’artillerie n’ose les fouiller. Les deux villages s’enveloppent d’un silence de mauvais augure. Le commandant Jeanniot, qui marche sur Beerst avec l’un des bataillons, prend ses dispositions en conséquence : aux approches du village, il est accueilli par une salve de mitraille ; les Allemands sont retranchés dans les maisons et l’église, d’où ils dirigent un feu nourri sur nos troupes. L’attaque de la position est rendue singulièrement difficile par la nature du terrain, complètement plat, coupé de fossés d’irrigation d’où l’eau déborde et sans autre abri que quelques haies défeuillées ; on ne peut s’en approcher qu’en rampant. Nous perdons pas mal d’hommes dans cette manœuvre de déploiement, si peu conforme à la nature impulsive des marins : toute tête qui émerge est une cible ; le lieutenant de vaisseau de Maussion de Candé, qui s’est mis debout, pour inspecter la position ennemie, tombe foudroyé. À chaque instant, quelqu’un des nôtres roule dans les betteraves. La charge ne sonnera donc pas ? Elle sonnera. Mais trop tôt encore. Le lieutenant de vaisseau Pertus culbute le premier, la jambe broyée, au moment où il enlevait sa compagnie ; le lieutenant de Blois est frappé à quelques secondes d’intervalle en esquissant le même geste. Nos pertes sont si fortes qu’il faut appeler le bataillon de soutien Pugliesi-Conti et