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par là. Et comment l’eût-elle fait ? Tout le pays, entre les collines de Cassel, Dixmude et le bourrelet de dunes du littoral, n’est qu’un immense schoore, un vaste polder conquis sur la mer et presque partout en contre-bas d’elle, à cause du tassement des tangues après leur assèchement. Jusqu’au XIe siècle, c’était encore un golfe où pouvaient s’aventurer les drakkars des pirates Scandinaves : si Dixmude, comme Penmarc’h et Pont-Labbé, avait conservé sa physionomie d’autrefois, on aurait retrouvé, aux murs des maisons riveraines, les organaux rouillés qui servaient à l’amarrage des barques. Pour s’assurer la possession de cette terre incertaine, lentement annexée par l’effort des générations, conquise, mais non soumise et toujours nostalgique de son premier état, il ne suffisait pas de refouler la mer, qui l’eût remplie deux fois le jour de ses remontées régulières : il fallait encore évacuer les eaux douces qui s’y déversent de l’Ouest et du Sud et principalement des collines glaiseuses du Houtland, stagnent sur un sol imperméable, noient les prairies, coupent les chemins, battent les villages. La lutte est de toutes les heures. Un tel pays, menacé sur tous ses fronts, n’est habitable que moyennant des précautions et une surveillance incessantes : contre la mer, on a Nieuport et son formidable outillage de pertuis, de jeux d’écluses, de vannes et de crics ; contre l’eau douce, qui suinte de partout, dont les flaques, dès l’automne et longtemps encore après l’hiver, diamantent la robe grise de la glèbe, on n’a que le drainage méthodique, continuel, dirigé, sous le contrôle de l’État, par des associations de fermiers et de propriétaires (les gardes wateringues). De là les innombrables fossés d’écoulemens (watergands) qui longent les haies, les milliers de canaux collecteurs qui quadrillent le sol, les digues de plusieurs mètres de haut qui surplombent les rivières, l’Yser, l’Yserlée, le Kemmel, vingt autres ruisseaux înnomés et d’allure débonnaire qui, brusquement, aux guilées d’automne, s’enflent, bouillonnent et dévalent torrentiellement dans l’ancien schoore de Dixmude. Les routes, sur ce pays déprimé, cette palude illimitée, dont quelques bouquets d’arbres, des toits de fermes basses rompent seuls la monotonie, doivent être fortement surélevées. Elles sont peu nombreuses. Juste ce qu’il faut pour assurer les communications. Encore exigent-elles un entretien permanent ; ravinées par les obus, défoncées par les « marmites » allemandes, les « gros noirs, » comme les