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tâche était terminée, et que la seconde allait commencer. Il avait lancé son peuple dans une voie de prospérité et de progrès où il ne s’arrêterait plus et une nouvelle guerre, bien loin d’enrayer ce superbe essor économique, n’y serait qu’un stimulant de plus. L’Allemagne, ayant triplé le chiffre de son commerce et presque doublé celui de sa population, disposant de millions de travailleurs qui n’allaient plus chercher, par l’émigration, leurs moyens d’existence au dehors, réclamait de nouveaux champs d’expansion et avait soif d’une domination incontestée dans tous les domaines. C’était à lui, encore dans toute la force de l’âge, qu’il appartenait de réaliser ces magnifiques aspirations.

Ne s’était-il pas lui-même laissé bercer, sur la foi des historiens de sa maison, par des rêves dont l’origine remonte à un lointain passé ? Héritier d’un empire nouveau tout différent de l’empire germanique des Othon et des Barberousse, il s’était constamment appliqué à rattacher au Moyen Age la création des Bismarck et des Moltke, à renouer la chaîne des traditions historiques, à se poser comme le successeur des anciens Césars électifs. C’est dans cette pensée évidente qu’a été créée au Thiergarten de Berlin l’allée de la Victoire, où se dresse la double rangée de statues de marbre dont nous avons déjà parlé, symétriques et sépulcrales, qui seraient mieux à leur place dans une nécropole royale que dans un jardin public. On y voit presque coude à coude des empereurs d’Allemagne, antiques et récens, des électeurs de Brandebourg et des rois de Prusse, tout un Panthéon suggestif ! A Vienne, des princes de la maison de Habsbourg se vengeaient des défaites de 1866 en traitant les Hohenzollern de parvenus. Mais, à Berlin, le descendant de ces parvenus ne rêvait de rien moins que de ressusciter la monarchie de Charlemagne ; il élevait dans sa capitale un monument au légendaire Roland, comme un symbole de l’union du présent et du passé, et songeait à rétablir sur l’Europe continentale une hégémonie carlovingienne.


III

Je parlerai plus tard des événemens européens et de la situation intérieure de l’Allemagne qui ont agi sur les dispositions de Guillaume II et activé sa transformation morale. Ce qu’il est nécessaire de préciser ici, c’est qu’il s’est flatté