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Imagine-toi Pont-Labbé, » écrit un de nos marins, mais un Pont-Labbé flamand, tout briques et tuiles, fleuri d’estaminets et de béguinages, propre, mystique, sensuel et charmant, surtout quand la pluie faisait trêve et que, sous un ciel lavé, ses coquettes maisons roses riaient aux eaux de son canal. Des quatre aires de l’horizon, de longues files de peupliers s’acheminaient en procession vers la vieille église qui lui sonnait les heures et qui était placée sous le vocable de saint Nicolas. C’était la merveille du lieu. On louait fort son élégante abside du XVe siècle ; mais, après qu’on en avait fait le tour, on pouvait encore, sans déception, pénétrer à l’intérieur où se voyaient un beau Jouvenet, l’Adoration des Mages de Jordaens, des fonts baptismaux d’une sobre ordonnance et l’un des plus magnifiques jubés de la Flandre occidentale, contemporain et rival de ceux du Folgoët et de Saint-Étienne-du-Mont.

Cette riche église, la délicieuse grande place de l’Hôtel-de-Ville, deux ou trois « demeurances » du vieux temps, aux pignons en escalier, ne suffisaient peut-être pas à dériver vers Dixmude le courant de la badauderie cosmopolite : les touristes la négligeaient ; l’histoire l’ignorait. Chef-lieu d’arrondissement d’une contrée essentiellement agricole, au confluent de deux cultures et comme à cheval sur l’infini des betteraves et l’infini des prairies, dont l’Yser forme la ligne de démarcation, Dixmude ne s’animait un peu qu’aux jours de foire : elle apparaissait bien alors comme la capitale de ce grand pays plat, zébré de canaux, plus aquatique que terrestre, où paissaient, sous la garde des bergers classiques à houppelande grise, d’innombrables troupeaux de vaches et de moutons ; les prés-salés de Dixmude, presque autant que son beurre, qui s’exportait jusqu’en Angleterre, étaient célèbres. Une population pacifique, un peu lourde, de chair rose et de parler rauque, traînant, appuyé, menait dans les fermes éparses autour de la ville une existence tramée de rude labeur, de pratiques dévotieuses et d’honnêtes beuveries. Les pays de plaine ne portent pas au rêve. Quand ils sont, comme celui-ci, des pays amphibies, moitié terre, moitié eau, ils n’exaltent pas non plus la fibre guerrière : trop de soucis domestiques absorbent l’habitant, qui doit batailler à la fois, pour son gagne-pain, contre deux élémens rivaux.

Seule lutte qu’il connaisse : jamais invasion ne s’est risquée