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presque une déroute, au cours de laquelle les détachemens des divisions alliées perdent un grand nombre d’hommes et toute leur artillerie de débarquement. Seul de la colonne, le détachement français ramena la sienne. Les galons de capitaine de frégate récompensèrent l’auteur de cette belle manœuvre stratégique : il avait trente-sept ans ; promu le 23 mars 1902, il était l’officier le plus jeune de son grade. À quarante-neuf ans, avec sa moustache grisonnante et son « bouc à l’américaine, » c’est aujourd’hui encore le cadet de nos amiraux.


III. — LA RETRAITE

Comment allait se faire le « décrochage ? »

L’opération semblait assez délicate. On se sentait épié de tous côtés par l’ennemi. L’ordre du général Cappers portait de se dégager par une marche de nuit et de gagner Aeltre, au croisement des routes de Bruges et de Thielt. Très méthodique, très précis, favorisé par les dispositions que l’amiral avait prises en vue de son exécution, le repli commença : nos convois d’abord ; puis, une demi-heure après, nos troupes, que les unités anglaises remplacèrent momentanément sur leurs positions. En traversant Gand, note le fusilier R…, « nous sommes acclamés de nouveau, d’autant que quelques-uns ont pris des casques prussiens et les montrent. L’enthousiasme est indescriptible ; les dames surtout nous font fête. » La douce Belgique nous avait gagé son cœur : elle ne nous le retire pas, même quand nous semblons l’abandonner. Couverts par la division anglaise, qui nous suit à deux heures de distance, nous franchissons Tronchiennes, Luchten, Méerande, Hansbeke, Bellem : une rude traite de 45 kilomètres, par un clair de lune glacé, avec des haltes de dix minutes à chaque étape. Les autos de la brigade roulaient à vide, tous les officiers, jusqu’aux plus vieux, s’étant imposé de marcher au pas de leurs hommes. Ce ne fut qu’au petit jour levé qu’on parvint à Aeltre. La brigade n’avait pas été inquiétée dans sa retraite : nous n’abandonnions rien, pas un traînard, par une cartouche. Et tous nos morts, pieusement ensevelis par l’aumônier du 2e régiment de la brigade, M. l’abbé Le Helloco, avec l’aide du curé et du bourgmestre, dormaient depuis la veille dans le petit cimetière de Melle.

Le temps d’ « avaler un morceau » et de se déraidir les