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en retraite ; l’enseigne de 1re classe Gauthier[1], commandant un groupe de mitrailleuses, laissait arriver à 60 mètres une attaque allemande, « pour apprendre aux servans à ne pas gaspiller leurs munitions, » et, blessé à la tête, disait : « L’essentiel, c’est que mes 502 balles aient toutes porté. »

Aussi bien le chef de ces braves, le contre-amiral Ronarc’h avait-il fait, sur d’autres champs de bataille, ses preuves de manœuvrier : le hasard ni la complaisance n’avaient dicté le choix du ministre.

L’amiral Ronarc’h est Breton : son nom guttural et puissant équivaut à un certificat d’origine. Et l’homme se révèle exactement tel qu’on l’imagine d’après son nom et ce qu’on sait de sa race : physiquement, sur un corps ramassé, trapu, large d’épaules, une tête rude, volontaire, aux plans accusés, très fine cependant, même imperceptiblement ironique, avec ces yeux des Celtes, un peu voilés, qui semblent toujours regarder très loin ou en dedans ; au moral et suivant l’expression d’un de ses officiers, « un ajonc de falaise, une de ces plantes de grand vent et de terre pauvre qui s’incrustent aux fissures du granit et qu’on n’en arrache plus, l’opiniâtreté bretonne dans toute sa force, mais une opiniâtreté calme, réfléchie, extrêmement sobre de manifestations extérieures et qui concentre sur son objectif toutes les ressources d’un esprit merveilleusement apte à tirer parti des élémens les plus ingrats[2]. » Il est assez remarquable que tous les grands chefs de cette guerre soient des méditatifs, des taciturnes : l’opposition ne s’est jamais tant accusée entre l’action et la parole. Par ailleurs, on a fait observer qu’il était peut-être dans la destinée de l’amiral Ronarc’h, — marin « très distingué » pourtant, puisque c’est son commandement des flottilles de la Méditerranée qui lui a valu ses étoiles, — de combattre surtout « comme un soldat de la guerre : » lieutenant de vaisseau et aide de camp de l’amiral Courrejolles, qui commandait la division de l’Extrême-Orient, il fait partie de la colonne Seymour envoyée au secours des légations européennes que les Boxers assiègent dans Pékin. La colonne, trop faible, bien que composée de marins des quatre divisions navales européennes stationnées dans les eaux chinoises, est obligée de se replier en toute hâte vers la côte. C’est

  1. Tué à Dixmude.
  2. Dr L…, Corresp.