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la ville elle-même souffrit peu et trois obus seulement frappèrent l’église. Vers six heures, l’attaque s’arrêta. La nuit tombait ; une brume légère traînait sur les champs et l’ennemi en profitait pour organiser la position ; tout en faisant mine de se replier, il demeurait à proximité, occupant les bois, les maisons, les haies, les « paillers, » tous les obstacles du sol. Signes non équivoques d’une prochaine reprise d’offensive. Le commandant Varney, dont les contingens ont supporté le principal effort de la journée, ne s’y trompe pas et se tient sur ses gardes. Défense aux hommes de bouger : on mangera plus tard. D’ailleurs, on n’a rien à se mettre sous la dent. « Vers minuit seulement, dit le fusilier R…, je peux me procurer un peu de pain ; j’en offre à mon commandant qui accepte avec plaisir. » La brume s’est dissipée, mais on n’y voit pas plus clair. Nuit noire partout, sauf sur Quadrecht, là-bas, où deux torches s’allument, des fermes qui brûlent. L’oreille tendue, on écoute. C’est un quart comme un autre qu’on fait sur terre au lieu de le faire en mer. Mais rien ne remue jusqu’à neuf heures. Brusquement, l’ombre se déchire : des obus à fusées lumineuses éclatent à quelques mètres des tranchées ; l’ennemi a reçu des renforts d’artillerie ; notre position va devenir promptement intenable. « Nous voyons les Boches, à la lueur des obus, qui se faufilent de tous côtés le long des haies et des maisons comme des rats. On tire dans le tas ; on en abat à foison. Ils avancent toujours. Le commandant ne veut pas qu’on s’expose davantage : il donne l’ordre de lâcher Gontrode et de se replier un peu plus loin, sur Melle, derrière le talus du chemin de fer[1]. » Dans le repli, nous perdons quelques hommes. Mais la position est excellente. À 60 mètres des tranchées, nos mitrailleuses ouvrent « un feu d’enfer » sur l’ennemi qu’on a laissé approcher. Une magnifique charge des fusiliers achève sa déroute. Il est quatre heures du matin. À

  1. Fusilier Y. M. J…, Corresp. Voir aussi la lettre du marin P. L. G…, d’Audierne : «… Alors là, voyant qu’ils venaient sur nous en nombre (ils étaient un régiment contre nous une compagnie), nous avons été forcés de nous replier 400 mètres en arrière, car nous ne pouvions plus les tenir. J’ai vu le capitaine d’armes tomber mortellement blessé et quatre hommes blessés quand nous revenions sur la voie du chemin de fer. Là, nous sommes restés pendant le jour et la nuit leur tenir tête, faisant des coups de salve quand on les voyait s’approcher de nous, chargeant à la baïonnette. C’était beau de les voir tomber sur la plaine à chaque salve. Le feu cessa le 10, vers 4 heures du matin. »