Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessités de la défense nationale qui, en quelques mois, ont majoré de plusieurs milliards les dépenses prévues au budget de 1914 : ce merveilleux résultat témoigne de la souplesse et de la résistance de nos rouages financiers. Le succès de l’émission des bons du Trésor, qui ont atteint rapidement près de trois milliards, est aussi un symptôme rassurant pour la réussite du futur emprunt. Il serait prématuré de chercher à en prévoir, dès aujourd’hui, les modalités et les conditions, mais nous envisageons, sur ce point, l’avenir avec confiance. Nous pouvons compter, en effet, non seulement sur la participation de nos nationaux dont l’épargne secouera joyeusement ce jour-là la poussière des bas de laine, mais aussi sur le généreux concours de nos alliés. Depuis le début de la guerre, les contingens britanniques ne cessent de nous arriver ponctuellement ; pour la bataille financière, nous attendons « la cavalerie de Saint-Georges. »

A côté de la question de l’emprunt se posera immédiatement celle des impôts : impôts à supprimer, à transformer, à créer. Le ministère des Finances, qui a le sentiment des réalités, ne choisira pas cette occasion pour se livrer à des expériences fiscales. Nous supposons qu’avant de supprimer des impôts qui ont fait leurs preuves il s’assurera du rendement de ceux que l’on voudrait y substituer. Dans le choix à faire entre les différentes taxations, il écartera les considérations d’ordre purement théorique et ne laissera pas mêler imprudemment la question financière à la question sociale. Nous l’avons affirmé plus haut, le législateur n’a pas le pouvoir de corriger les inégalités naturelles : il n’a pas davantage, — cette affirmation surprendra peut-être, — le pouvoir de faire payer l’impôt par qui il veut. Nous entendons bien qu’en établissant une taxe, il peut désigner le redevable auquel s’adressera le fisc, mais comment empêcher celui qui fait ainsi l’avance de l’impôt de le rejeter sur son voisin ? En matière d’incidence des contributions, ce n’est pas la loi du Palais-Bourbon qui est souveraine, c’est la loi de l’offre et de la demande. De telle sorte qu’on aura beau baptiser un impôt nouveau : taxe sur les riches, rien ne démontre que ce ne seront pas les pauvres qui en supporteront définitivement le poids. C’est ce qui s’est passé quand on a voulu augmenter l’impôt des propriétés bâties, qui est retombé sur les petits locataires.