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époque, frayait surtout avec les grands industriels, les grands banquiers et les grands armateurs de l’empire, qu’il n’a jamais cessé de voir et de consulter. Il a été l’ami fidèle de M. Krupp, dont la vie privée ne méritait pas cet honneur. Il a favorisé de tout son pouvoir les entreprises de M. Ballin, le très habile et très audacieux directeur de la Hamburg-Amerika Linie. Il présidait lui-même au lancement des transatlantiques géans de la puissante Compagnie. Le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la mise à flot du dernier de ces Léviathans de 50 000 tonnes, baptisé par lui du nom de Bismarck, — tardif hommage rendu au génie du chancelier de fer, — est remarquable par l’orgueil patriotique dont il déborde. C’est un chant de triomphe en l’honneur des chantiers germaniques, qui ont construit le plus grand navire du monde, dépassant de loin ce que l’art naval des Anglais avait jamais osé.

Le pacifisme prolongé de ce chef d’une nation militaire a eu sans doute aussi d’autres causes que le souci d’assurer la prospérité économique de l’Allemagne. Quoiqu’il se soit toujours, depuis sa première jeunesse, passionnément intéressé à son armée, Guillaume II n’a pas l’âme belliqueuse de plusieurs princes de sa maison. Comme le roi Frédéric-Guillaume Ier, il aime la caserne, sans avoir le goût des champs de bataille. Devenu, à vingt-neuf ans, le commandant suprême de l’armée, le « Kriegsherr, » il a accompli scrupuleusement depuis lors tous les rites militaires prescrits à un roi de Prusse, on l’a vu prendre part à chaque occasion aux repas des mess des officiers, apparaître dès l’aube au milieu de ses régimens de cavalerie sur le champ d’exercices de Dœberitz, inspecter l’un après l’autre les corps de troupes de l’empire et présider régulièrement aux manœuvres d’automne, les manœuvres impériales, où sa critique des opérations engagées faisait sourire les hommes du métier. Le long des rues de Berlin, les vitrines des magasins sont remplies de photographies de l’Empereur sous tous les uniformes de l’armée de terre et de mer, dans tous les rôles de son répertoire : la moustache fièrement retroussée, le regard fixe et menaçant, le bâton de feld-maréchal au poing. Ces images exagèrent l’impression qu’elles veulent nous donner d’un souverain très guerrier. Mais est-il vraiment un soldat ?

Les journaux allemands ont annoncé, au début des hostilités, que Sa Majesté Impériale serait suivie sur le théâtre de la