Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paix européenne, en dépit de l’organisation sans cesse perfectionnée de l’armée allemande et à cause même de ses renforcemens qui rendaient une attaque contre elle presque impossible. On avait accepté de bonne foi cette légende, sans réfléchir que la course aux armemens conduit fatalement à la guerre, comme toute fièvre, qui devient aiguë, aboutit à une crise violente. Mais, outre les sentimens pacifiques trop vantés de l’Empereur, n’y avait-il pas, disait-on, pour rassurer les petites nationalités inquiètes, la Triple-Alliance, fondée par Bismarck et renouvelée périodiquement après lui ? Le vieux chancelier et ses continuateurs ont toujours représenté la Triplice comme un contrat d’assurance contre le danger d’une conflagration générale. Retranchées dans cette forteresse inexpugnable, les forces des trois alliés pouvaient défier toutes les coalitions : aussi se gardait-on de les provoquer et de troubler l’ordre public européen. En réalité, tant qu’elle est restée fidèle à la pensée de son fondateur, la Triple-Alliance a pu se considérer comme la gardienne de la paix. Mais, à partir du jour où, pour appuyer les prétentions du Cabinet de Vienne, le Cabinet de Berlin a imposé aux nations slaves et aux autres Puissances déconcertées la reconnaissance de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, la Triple-Alliance a changé de caractère. Le gendarme, travaillé par des convoitises, a failli à son rôle tutélaire. La confiance qu’on avait eue jusque-là dans la pureté de ses intentions en a été considérablement diminuée.

Quoi qu’il en soit, Guillaume II a tenu pendant vingt-cinq ans, — longum œvi spatium, — la parole qu’il avait donnée au peuple allemand, sur le conseil de Bismarck, dans son premier discours du trône, d’avoir un règne pacifique. Il ne pensait alors qu’à faire de l’Allemagne le premier pays du monde par le développement de son commerce et de son industrie, à enrichir toutes les classes de la population, à détrôner, au profit de Berlin, Paris et Londres. « Notre avenir est sur les mers ! » disait-il à ses sujets avec une juste perception du but où il devait diriger leur énergie et leurs efforts : la création d’une puissante marine, pour assurer sur tous les marchés de l’univers une place prééminente aux produits du travail allemand. Pendant ce quart de siècle, l’Allemagne a effectué en effet des progrès merveilleux qui faisaient tressaillir d’étonnement les autres nations. Guillaume II, dès cette