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intéresse, à cause de la direction nouvelle qu’il a voulu imprimer aux destinées de l’Europe. À ce point de vue, il est impossible de passer sous silence la place que la religion occupe dans sa vie. Il a toujours été un fervent protestant. Pour lui, comme pour Treitschke, l’historien de la Prusse moderne, le protestantisme n’est pas seulement la vraie religion, mais la pierre angulaire de l’unité allemande, le solide rempart à l’abri duquel le langage et les mœurs des Germains se sont maintenus intacts des bords de la Baltique aux confins de la Transylvanie. Mais si la foi de Guillaume II est sincère, elle est vraiment trop verbeuse et trop nationaliste. Elle se répand insupportablement au dehors. Elle abonde en discours, remplis d’invocations choquantes à la Providence, à une Providence qui serait exclusivement allemande, qui n’aimerait que les Teutons et se réjouirait de leurs exploits. A l’imitation des héros bibliques et des champions de la Réforme, ce croyant en est arrivé, au seuil du XXe siècle, à se considérer comme le bras droit et l’épée du Seigneur, l’être prédestiné sur qui l’esprit d’En-haut serait descendu. Comment s’étonner que, sous l’empire d’une telle croyance, il ait entrepris une guerre qui nous a ramenés au temps des luttes sans merci des XVIe et XVIIe siècles, une sorte de croisade conduite contre les ennemis du peuple de Dieu personnifié aujourd’hui par la race germanique ? Cette façon de comprendre et de pratiquer la religion explique que le chef de la pieuse nation allemande, après avoir appelé solennellement sur ses armes les bénédictions du Dieu des chrétiens, — un Dieu de concorde et de paix ! — ait ordonné, la conscience en repos, le bombardement de villes sans défense et la destruction des chefs-d’œuvre de pierre de l’art catholique, les vieilles cathédrales historiques.


II

Pendant les dix dernières années, on a eu trop de confiance à l’étranger dans le pacifisme et dans la sincérité de Guillaume II. On oubliait qu’après tout il est de la race du grand Frédéric et que, sur la politique, il a dû méditer les leçons de ce prédécesseur dénué de scrupules. Lui-même, il s’attribuait, non sans raison, — car, dans sa jeunesse, il aurait pu céder à l’attrait des lauriers militaires, — le mérite d’avoir conservé la