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que j’avais entendu pour la première fois à Bologne. Mme Pasta est la perfection des perfections. Le ton voilé de ses notes basses plaît ; la pureté et le moelleux du haut étonnent : noblesse, grâce, force, sentiment, elle a tout, et elle serait encore l’actrice de premier ordre, si elle n’était pas la première des chanteuses. Mme Marie Lallande faisait Aménaïde ; elle a du pathétique, une méthode sûre et bonne, mais elle est enceinte, et sa voix est si fatiguée qu’on a dû couper un de ses duos. Le ballet du château de Kenilworth terminait le spectacle. Nous sommes partis après la tyrolienne dansée par Mlle Taglioni, dans les fêtes données en l’honneur d’Elisabeth. Sa grâce, sa souplesse, son aplomb, sa belle taille, sa jolie figure nous ont enchantés ; mais elle nous ! a paru ne pas déployer ses qualités dans toute leur ampleur et ! se réserver pour son bénéfice, qu’on donnera ce soir.


Dimanche, 5 juin.

La duchesse de Frioul est née Hervas d’Almenara ; son origine espagnole apparaît par l’expression de sa physionomie et par la vivacité gracieuse de tous ses mouvemens. Petite, nerveuse, elle mêle encore un reste de gaîté et de jeunesse aux tristesses dont son âge mûr a été abreuvé. Le général Fabvier l’accompagne, à Londres, par l’effet d’une amitié ancienne qui pourrait bien les avoir conduits l’un et l’autre jusqu’à un mariage secret.

Il est laid, négligé de sa personne, et ne paraît pas éloigné de la cinquantaine, mais son esprit et son caractère sont des plus distingués. Officier d’artillerie, ancien élève de l’École polytechnique, il était de la Grande Armée de 1805. Passé de là en Italie, puis à Constantinople, dans le temps où le général Sébastiani tenait tête à l’amiral Dukworth et gagnait les titres qu’il a gardés à l’admiration des Anglais, il fut un des officiers chargés de mettre la capitale turque en état de défense. Il était alors dans les plans de Napoléon de faire faire par la Perse une diversion contre le Caucase. Le général Gardanne fut envoyé à Ispahan ; le capitaine Fabvier l’accompagna, organisa un arsenal et donna une artillerie à l’armée persane. Rentré en Europe après la paix d’Erfurth, il traversa la Russie devenue amie, servit un temps sous Poniatowski dans l’armée du grand-duché de Varsovie, fut en Espagne sous Marmont, revint se battre à la Moskowa en 1812, et faillit mourir d’une blessure