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fils venait de lui apporter. C’étaient des proclamations datées du 28 mai 1831, — preuve qu’on les avait imprimées d’avance, — et signées « Lennox, chef de bataillon en réforme, rue Montmartre. » Une lettre, écrite par le même aventurier, permettait cette fois de lire dans son jeu : il demandait un denier de 25 000 francs par mois pour faire aller son petit complot.

J’ai aussitôt représenté le danger que des correspondances pareilles font courir à la Reine et la nécessité pour elle d’y couper court. Mais je ne l’ai pas trouvée là-dessus aussi forte que je l’aurais désiré : « Que voulez-vous ? m’a-t-elle répondu. Louis s’en amuse. » Elle observe que son fils se ranime, depuis qu’on politique autour de lui, et elle voit dans l’excitation de l’intrigue un adjuvant de guérison. Heureusement, sa santé meilleure nous permet de parcourir la ville avec lui et de la distraire en le promenant. Du tunnel sous la Tamise, nous courons à la rotonde de Regent’s park. Ce bâtiment ressemble au Panthéon de Rome ; on y voit le cosmorama de Londres, tel qu’on pourrait le découvrir du haut de la coupole de Saint-Paul. Pour épargner aux curieux la peine d’en monter les degrés, les Anglais, toujours féconds dans les inventions de la mécanique, ont imaginé une vis immense, à l’intérieur de laquelle monte et tourne en même temps une sorte de petit coupé, pareil à la cage d’une gondole ; on n’a que la peine de s’asseoir et de se laisser hisser jusqu’au sommet.

Tout auprès, le Cottage Swiss, dû au même ingénieur, a absorbé des sommes énormes et complété la ruine de ce malheureux. Un labyrinthe de serres adroitement disposées, conduit à l’intérieur d’un chalet rustique. Par les fenêtres ouvertes, on découvre alors des roches, des cascades, tout un paysage parfaitement composé, et qu’il est merveilleux qu’on ait pu rassembler sur un si petit espace.

En revenant de voir ces merveilles, hier soir, nous avons trouvé un mot gracieux de la duchesse de Bedford : elle avait eu l’amabilité d’apporter elle-même les fiches d’entrée pour sa loge, aux Italiens. La Reine a voulu nous y conduire tous, c’est-à-dire les Murat et nous ; mais elle avait trop préjugé de ses forces ; au premier moment, la musique lui a fait mal ; elle s’est mise dans le fond de sa loge où elle est restée toute la soirée à pleurer.

Il me paraissait étrange de revoir à Londres ce même Rubini