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Aux sculpteurs, Guillaume II, fidèle aux mêmes principes esthétiques, a commandé des statues gigantesques ou figées dans des attitudes compassées, représentant les héros de sa famille et les grands serviteurs de son aïeul, qui ne méritaient pas un traitement aussi barbare. Son engouement pour la peinture officielle l’a empêché d’apprécier les talens originaux, les chefs d’école, tels que Max Libermann, qu’il traite de révolutionnaires. De même pour les gens de lettres. Les romanciers et les dramaturges les plus célèbres de l’Allemagne contemporaine, un Hauptmann, un Sudermann, ne sont nulle part moins compris qu’à la cour de Berlin.

L’Empereur s’est plu longtemps dans la compagnie d’aimables esthètes, poètes et musiciens, — car il adore la musique et la poésie, — les familiers de la fameuse table ronde. Le procès scandaleux du prince Philippe d’Eulenbourg a coupé cours à ces intimités. On a médit, bien à tort certainement, de son amitié pour ce séduisant, mais triste personnage. On ferait mieux de souligner son faible pour les gens riches, pour les créateurs de grosses fortunes. En cela, il a montré, comme d’autres têtes couronnées, qu’il possède le sens de l’actualité et qu’il apprécie les services rendus à la société moderne par la richesse. Les Américains de passage à Berlin sont assurés de trouver un accueil empressé à la cour impériale, pourvu que la valeur financière de leur nom soit haut cotée aux Etats-Unis. Il est juste d’ajouter que ces cajoleries aux Yankees opulens sont dictées aussi à Guillaume II par des préoccupations qu’on a appelées « sa politique américaine, » à savoir le désir d’une entente étroite avec la Grande République. Son goût pour le pouvoir que confère l’argent s’est montré également dans sa façon d’honorer sa fidèle noblesse. En créant une haute aristocratie de princes et de ducs, très clairsemée en Prusse avant lui, il a parfois tenu moins de compte de l’ancienneté de la race et des titres acquis à la reconnaissance de l’État que des fortunes territoriales des intéressés. Les nobles restés pauvres n’ont pas été très favorisés, même lorsqu’ils portaient les plus beaux noms militaires de la monarchie.

Élevé par un père dont les idées libérales ont été trop vantées, au dire de ceux qui l’ont le mieux connu, l’Empereur, à ses débuts, était animé d’une impatiente ardeur d’améliorer le sort des classes laborieuses de son empire et de continuer,