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qu’il la priait de disposer entièrement de lui ; que si, pour retourner chez elle, elle désirait traverser la France, il lui ferait délivrer un passeport sous un nom d’emprunt, le mien par exemple ; ce passeport serait revêtu du visa de l’Autriche. La Reine, assez embarrassée d’avouer que cette allaire de passeport était déjà engagée à Paris, s’est contentée de remercier, en disant qu’elle comptait sur la bienveillance du roi Louis-Philippe et qu’elle ne ferait en tout cas rien qui pût le mécontenter.

Cette réponse a fort surpris M. de Montrond. A Londres, dit-il, le seul personnage qui compte est le général Sébastiani[1] ; personne ne connaît Louis-Philippe, ni ne s’en soucie. La chute de ce roi de carton n’est pas douteuse, mais les avis diffèrent sur la manière dont il sera remplacé. L’opinion parisienne, Mlle d’Orléans en tête, veut la République, ce qui n’empêche pas le duc de Bassano d’annoncer le prochain avènement de Napoléon II et la Duchesse de Berry, à Bath, de dire à qui veut l’entendre qu’avant le mois de juillet son fils sera à Paris… A ce moment, on a annoncé lady Davy. « C’est une ennuyeuse, » s’est écrié M. de Montrond, et, avec une pirouette, il s’en est allé.

La visite de lady Davy ne pouvait être ennuyeuse pour moi, fille de chimiste : je connais trop les belles découvertes de sir Humphry Davy sur le protoxyde d’azote, sur l’électro-chimie, sur la lampe métallique des mineurs, qui a sauvé tant de vies humaines. La santé de cet homme éminent, mort voilà deux années, exigeait à la fin le climat de l’Italie ; aussi lady Davy a-t-elle voyagé sur le continent et supporte-t-elle difficilement aujourd’hui le séjour de son pays. Elle critique avec esprit la tyrannie de la mode sur des gens si raides, si méthodiques et si froidement fous. Fière à bon droit du nom qu’elle porte, elle n’a d’égards que pour la valeur personnelle et ne se plaît que dans la compagnie des gens distingués. Lord Byron était de son intimité. En rendant un juste hommage à cet homme de génie, elle avouait lui avoir toujours trouvé dans la physionomie quelque chose de diabolique et s’être apitoyée souvent sur le sort de lady Byron. Cette femme fraîche, calme et douce, se vouait elle-même au malheur en épousant un homme aussi fantasque et aussi capricieux. On s’étonne que Mme Guiccioli,

  1. Ministre des affaires étrangères de France.