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Louis arrivait maintenant à Paris, il y serait plus caressé encore qu’en Italie. » Ce n’est là peut-être qu’un propos aimable, ou bien c’est le pronostic de M. de Talleyrand lui-même. La Reine se souvient de l’adresse que le prince de Bénévent déploya dans les circonstances délicates de l’année 1814. Elle n’oublie pas non plus l’art consommé avec lequel il s’est fait hier l’homme indispensable pour Louis-Philippe et le véritable directeur politique du nouveau gouvernement français. Elle le voit aujourd’hui montrer de l’empressement auprès d’elle, toujours habile à tout ménager.

De là cependant à partager les espérances d’Achille Murat, il y a loin. Il revint le soir et se donna comme le représentant en Europe du roi Joseph, frère aîné de l’Empereur ; il sait que le gouvernement de Juillet ne durera pas en France, que la République sera proclamée, etc. La Reine, craignant de lui voir faire une imprudence, par laquelle son propre plan serait compromis, lui représente le peu qu’il a pu connaître de l’Europe là-bas, dans sa chaumière américaine. Elle l’invite à raconter sa vie, qu’elle ignore, et qu’il ne fait pas difficulté d’exposer dans un grand détail.

Prince royal à Naples, déchu de ses droits par la mort tragique de son père, il reste prisonnier en Autriche jusqu’en 1822. Il a alors vingt et un ans et cent vingt mille francs de fortune. Son projet est de s’embarquer à Hambourg, où il pense ne demeurer qu’une semaine. Il y passe trois mois, vit en grand seigneur et mange là vingt mille francs pour sa première école. Débarqué chez son oncle Joseph à Point-Breeze, il y trouve un accueil paternel ; il n’aurait qu’à s’y installer et à s’y laisser vivre, mais son humeur l’entraîne ailleurs. La guerre de 1823 en Espagne parait lui offrir des chances de fortune. Il embrasse la cause constitutionnelle, frète une embarcation, arrive trop tard, quand tout est fini, court des dangers et dépense quarante mille francs en pure perte. Repassé de l’autre côté de l’Atlantique, fort appauvri, très malheureux, il ne perd nullement courage, étudie la langue, les lois, devient avocat, achète une plantation dans un mauvais terrain qu’il est bientôt forcé d’abandonner, trouve un ami auquel il s’associe, pour acheter ensemble un autre domaine. Il l’y rejoint et abandonne le premier établissement. C’est ici un nouveau chapitre de son roman.