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de cinquante. La Reine l’a eu, l’an dernier, chez elle à Arenenberg. Il fréquente ici le cercle de notre ambassadeur à Londres, le prince de Talleyrand, et le salon de la duchesse de Dino. C’était de leur part qu’il se présentait : il l’a laissé bientôt deviner par l’empressement avec lequel il a mis la conversation sur les bagarres de la place Vendôme ? Il paraît qu’après notre départ les attroupemens se renouvelaient chaque soir devant la Colonne, de plus en plus nombreux et de plus en plus pressans. On réclamait l’inauguration de la statue, qu’une ordonnance du mois dernier avait annoncée. Louis-Philippe avait signé cette ordonnance par erreur, et sans savoir que la statue de Chaudet, déboulonnée en 1814, avait été détruite sous la Restauration. Le fondeur Launay l’avait transportée d’abord dans son atelier, après avoir dirigé la manœuvre de quatre jours nécessaire pour l’amener à reposer à terre. La police l’avait reprise aux Cent-Jours, mais les Bourbons eurent le dernier mot, en ordonnant la fonte du métal, qui servit pour la statue d’Henri IV par Lemot.

Quelques bonapartistes, pressés d’exploiter contre le Roi la malencontreuse ordonnance, avaient fait faire une statue provisoire en bois de chêne par un sculpteur de Saint-Mandé. Le ministère donna l’ordre d’arrêter cette statue aux barrières, ce qui provoqua des protestations. Dans le même temps, une manifestation républicaine s’organisait en l’honneur de Cavaignac, Sambuc, Guénard, Trélat et Raspail, que la cour d’assises venait d’acquitter. A l’issue d’un banquet donné pour eux le 9 mai aux Vendanges de Bourgogne, les convives échauffés se répandirent sur les boulevards et gagnèrent la place Vendôme. Ils s’y réunirent le lendemain aux anciens militaires et aux napoléonistes de toutes marques, furieux que la police eût osé faire disparaître pendant la nuit les fleurs et les couronnes déposées par eux au pied de la Colonne. Les clameurs prirent un ton de violence qu’elles n’avaient pas eu jusque-là ; il fallut employer la cavalerie contre la foule, la bagarre menaçant de devenir une émeute ; on n’en eut raison qu’en amenant sur la place des pompes à incendie empruntées à la caserne de la rue de la Paix. Le général comte de Lobau donna l’ordre d’asperger les manifestans et, parte trait, s’affirma pour la première fois dans son commandement tout neuf de la garde nationale.

M. de Montrond augure de tout cela que « si le prince