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« qu’il fallait avoir bien de l’amour-propre pour porter un habit si simple au milieu d’elles. »

La Reine estime que les Mémoires de Constant sont de tous les plus véridiques, au moins quant à la description des choses vues ; mais Constant ne rend pas toujours avec intelligence ce qu’il a entendu. O’Méara mérite une entière créance, mais il n’est resté que trop peu de temps à Sainte-Hélène. M. de Las Cases fait preuve d’exactitude, mais il est long, et, nouveau venu auprès de l’Empereur, de crainte de le trahir, il s’astreint à reproduire quelquefois matériellement et scrupuleusement ses paroles ; mais le sens des paroles est moins dans les mots eux-mêmes que dans l’accent de l’âme qui parle ou dans l’expression de la physionomie.

La Reine se flatte d’avoir connu l’Empereur mieux que personne. « C’est lui qui a fait ma vie, » dit-elle. Elle avait l’impression d’être assise dans une voiture, dont il aurait été le cocher. Elle aurait pour lui une reconnaissance sans bornes et une affection sans nuages, s’il n’avait pas divorcé d’avec Joséphine ; et cela même, elle ne peut le lui reprocher avec trop d’amertume, tant lui-même en a eu le cœur déchiré. Joséphine est bien la seule femme qu’il ait aimée. Les amours en dehors d’elle n’ont été que des fantaisies passagères, et il ne s’est jamais pardonné le chagrin qu’elle on éprouvait. On ne peut compter que pour mémoire, tant la personne était sotte, la liaison qu’il eut avec Mlle de la Plaigne en 1805. C’était une ancienne élève de Mme Campan, mariée par erreur à un aventurier, puis entrée comme lectrice chez Caroline Murat ; sa jeunesse et sa fraîcheur plurent à l’Empereur, qui en fut bientôt rassasié. Ensuite vint, caprice tout aussi court, une dame de la Cour que la Reine n’a pas nommée ; puis Mme Gazzani, dont l’impression sur lui fut plus vive sans être plus durable. Cette beauté célèbre était fille d’une danseuse italienne attachée au grand théâtre de Gènes. L’Empereur l’ayant vue dans cette ville, lors du voyage de 1805, en fut ébloui, plaça le mari en province, et la fit venir à Paris où elle fut immédiatement nommée lectrice de l’Impératrice. Elle était grande, un peu maigre, d’une souplesse et d’une grâce extrêmes, avec des yeux ravissans, des traits délicats et les plus belles dents du monde, qu’un petit rire tordu découvrait constamment. L’Empereur sortait seul la nuit, en jeune homme, pour aller la voir ; il n’avait confié son secret qu’à