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prendre la Reine pour toute la soirée, tandis que le Prince sortait avec M. Fox, ni de me la reprendre aujourd’hui pour aller visiter sans moi des appartemens. Comme femme à la mode, elle s’étonnait d’être debout dès onze heures du matin, après s’être couchée à quatre. Elle avait fait un effort pour se lever. D’ordinaire, à Londres, on ne quitte son lit qu’à cinq heures de l’après-midi. Cette vie extravagante parait faite exprès pour tuer lord Dudley, intéressant jeune homme dont l’air poitrinaire me causerait beaucoup de soucis s’il m’était cher. Il est pour Christine le modèle des maris et pour sa tante, la Reine, le modèle des neveux. Ayant chez lui ce soir du monde à dîner, il regrettait qu’elle n’y fût pas.

C’est là le commencement des invitations dont elle s’attend à être bombardée, et qu’elle ne pourra plus esquiver quand sa présence à Londres sera connue. Dès hier, quelques salons en savaient la nouvelle ; dès ce soir, la comtesse Glengall arrivait. C’est pour la Reine une vieille connaissance faite à Plombières, au temps de la paix d’Amiens. Elle a conservé un reste de beauté, une grande assurance, fruit d’une longue habitude du monde, et une abondance de paroles qui s’est librement exercée jusqu’à onze heures, instant où elle nous a quittés pour se rendre à un bal donné par le duc de Devonshire.

Elle a fait mille foliés à Paris sous le Consulat ? C’est elle qui a ramené dans la société la mode des bas et des souliers découverts. Elle courait à cheval dans les allées défendues. Un jour qu’elle s’était fait mettre au corps de garde et que le Premier Consul lui en parlait, elle lui a dit « qu’elle aimait à faire tout ce qui était interdite » « Eh bien ! a-t-il aussitôt répondu, à partir de demain, je vous autorise à faire tout ce qu’il vous plaira. » Il la croyait alors initiée aux secrets de la diplomatie, ce qui n’était pas, et ce qu’elle regrette à présent, car elle aurait pu par ce moyen le connaître davantage et jouer un rôle auprès de lui.- Ce qu’elle se rappelle avoir admiré le plus en lui est ce beau profil d’empereur romain, si bien fait pour la statuaire, les belles dents qu’il montrait en riant, son sourire si doux, si gai, que c’était celui d’un enfant et non pas celui du maître du monde. Il avait la coquetterie d’être l’homme le plus mal vêtu de toute sa cour. La Reine raconta à ce sujet qu’un soir, au bal, les voyant toutes parées et couvertes de diamans, il avait dit, en montrant les manches de son modeste uniforme,