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nous soupçonnaient jusqu’alors la présence au fond de l’âme allemande. Qu’il me suffise d’ajouter que l’enquête ouverte plus tard par la police anglaise a prouvé irréfutablement l’objet réel du séjour à Portsmouth de la gentille Elsa : une malle confiée par elle à la garde des parens de Mlle X... contenait toute sorte de plans et de bassins maritimes et de parcs d’aviation !


Et semblablement nous avons peine à croire que l’attitude des parens des petites élèves de l’institutrice anglaise ait été parfaitement correcte à son égard dans les circonstances qui allaient aboutir à la rupture finale de leurs relations. Le fait est que, depuis les premiers mois de 1914, Mlle X... sentait croître de jour en jour, autour de soi une atmosphère d’agitation et de fièvre belliqueuses. Sans cesse, maintenant, le Kronprinz s’enfermait pour de longs tête-à-tête avec des généraux : ou bien l’on parlait tout bas, à Potsdam, de deux jeunes et beaux visiteurs qui étaient venus s’entretenir secrètement avec le fils aîné du Kaiser, et Mlle X... apprenait que ces visiteurs mystérieux étaient le général turc Enver Bey et le jeune prince égyptien Mohammed Ali. Une autre fois, c’était le père de ses élèves qui, devenu brusquement tout aimable pour la jeune fille, tâchait à lui arracher tout ce qu’elle se trouvait savoir touchant le caractère et les aptitudes d’un certain amiral anglais de sa connaissance.

Mais le changement avait été bien plus sensible encore après le drame sanglant de Serajewo. Désormais, c’était comme si chacun, dans l’entourage de Mlle X..., eût reçu la consigne de lui cacher quelque chose. Tout au plus une parole indiscrète de la Princesse, du lieutenant von H..., surtout des enfans, soulevait-elle parfois un petit coin du voile, — jusqu’au jour où, enfin, le bavardage enthousiaste des petits princes lui avait laissé deviner que l’heure bienheureuse de la guerre était toute proche, et que bientôt les troupes allemandes s’élanceraient, en traversant la Belgique, pour tomber sur la France.

Stupéfaite et bouleversée devant cette nouvelle, Mlle X... avait ingénument songé que, sans doute, le gouvernement de son pays ne savait rien de l’attaque projetée, et que son devoir d’Anglaise était de l’en instruire. Si bien que, ne connaissant personne à qui s’adresser » elle avait écrit une longue lettre à l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin, après quoi, sans l’ombre d’un soupçon, elle avait déposé sa lettre dans la boîte où elle avait coutume de mettre son courrier. Et puis elle avait eu l’extrême surprise de voir, par degrés, le vide se faire autour d’elle. Successivement les parens de ses élèves, et ses