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de Mlle X... sur les effectifs des diverses armées européennes, et qu’à propos du petit nombre des soldats anglais il s’était écrié que « ceux-là ne seraient pas difficiles à éliminer, » le petit prince avait timidement murmuré que son précepteur lui défendait de parler ainsi devant leur gouvernante.


Le général, sur ces mots, daigna m’accorder un regard ; et j’eus de nouveau l’impression que jamais encore je n’avais rencontré un type aussi parfait de « brute » sans pitié.

— Etes-vous donc amie des Anglais ? — me demanda-t-il, continuant toujours à me croire Américaine,

Je m’enhardis à répondre que je tenais l’Angleterre pour l’une des plus grandes nations du monde.

— Quelle sottise ! — fit le général, d’un ton sec et tranchant que je n’oublierai de ma vie.

Le Prince, alors, se mit à confirmer l’opinion de Bernhardi, à la fois pour mon instruction et pour celle des enfans. Il nous dit que l’Angleterre avait été vraiment une nation puissante, mais que maintenant sa déchéance avait commencé. Pas une de ses colonies ne lui resterait fidèle au jour du danger.

— Vous n’avez qu’à lire leurs propres journaux, — déclara péremptoirement le général Bernhardi, — pourvoir que les Anglais eux-mêmes se rendent compte de la rapidité de leur décadence. Mais la main du Destin est sur eux. Ils dorment d’un sommeil dont ils ne s’éveilleront que sous un choc bien rude, et cela seulement quand il sera trop tard !


Un des chapitres les plus significatifs du livre de Mlle X... est celui où elle nous raconte de quelle façon elle-même s’est trouvée prise, à son insu, dans les trames ténébreuses d’une véritable « agence » berlinoise d’espionnage ; et voilà déjà un point sur lequel c’est chose certaine que les princiers « patrons » de la jeune fille ont fâcheusement méconnu les devoirs que leur imposait leur situation ! Car bien loin de la détourner du piège qu’ils voyaient tendu devant elle, ils semblent l’y avoir expressément poussée, en encourageant ses relations avec une dame allemande et sa soi-disant demoiselle qui, dès le début, n’avaient pas d’autre objet que d’abuser de sa naïve bonne foi pour se renseigner sur tels ou tels secrets de la marine anglaise. Sur les instances répétées de la dame Niemann, Mlle X... a même consenti à emmener chez ses parens, à Portsmouth, la gentille Elsa, et puis à l’y laisser lorsque la fin de ses vacances annuelles l’a forcée à rejoindre son poste. Le long récit qu’elle nous fait de toute cette aventure abonde en révélations savoureuses sur un mélange, décidément « spécifique, » de ruse et d’aplomb qui commence à nous devenir familier depuis les derniers mois, mais dont fort peu d’entre