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santé physique aussi bien que morale, et le rire qui l’éclaire est l’épanouissement de cette belle santé. Le cosmopolitisme littéraire mène à l’autre : ce que nous avons le plus de peine à pardonner, à l’heure qu’il est, aux philosophes du XVIIIe siècle, c’est que, si sévères pour le gouvernement de leur pays, ils se soient faits les complaisans des gouvernemens étrangers, ceux-ci fussent-ils en guerre avec nous. Mais leur plus grande erreur est sans doute celle où les a jetés leur haine du christianisme. Parce que l’enseignement de l’Église repose tout entier sur la croyance à la corruption originelle de notre nature, ils ont proclamé que la nature est bonne, qu’il convient donc de la remettre en liberté, et de briser toutes les entraves par lesquelles on s’était efforcé jusque-là de la maîtriser : autorité du pouvoir, usages de la société, règles de la morale. L’homme est bon, disaient-ils, et il n’est que de le laisser suivre son instinct : la Terreur se chargea de leur répondre. Comme il faut pourtant croire à quelque chose, à la place de la religion pourchassée ils installèrent la science. C’était elle qui, en s’ajoutant à la nature, allait lui prêter le secours dont elle a, malgré tout, besoin, et guider l’humanité sur les routes de l’avenir. Grâce à elle, le progrès reprendrait sa marche interrompue par la religion qui est rétrograde et obscurantiste. Le progrès des sciences serait aussi celui de la moralité, et le commerce et l’industrie y contribueraient encore par l’accroissement du bien-être. La diffusion des lumières aurait pour conséquence l’avènement de la justice et du droit. Combien profonde était cette erreur qui fait du progrès matériel la condition suffisante du progrès moral, beaucoup l’ont pressenti, mais c’est aujourd’hui que nous en avons sous les yeux l’effroyable démonstration. Elle vient de nous apparaître, cette erreur, éclairée par les reflets de l’incendie ; nous la touchons de nos doigts dans le ruissellement du sang. Nous sommes témoins que la culture scientifique la plus intensive peut autoriser toutes les violations du droit et toutes les dolences. Nous avons appris à nos dépens qu’un peuple peut s’être organisé suivant les méthodes les plus récentes et les plus scientifiques, et égaler en sauvagerie les peuplades les plus voisines de la nature. L’Allemagne nous fournit l’exemple de cette alliance monstrueuse qui met la science au service de la barbarie.

Or on s’aperçut bien, lors de la grande tourmente, — et c’est à le montrer que pourra servir la « Journée de la Révolution, » — que la France nouvelle n’était pas essentiellement différente de l’ancienne. Le courage était le même. A aucune heure de son histoire, la