Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Roland, ils ont au cœur l’amour de « douce France » et toute leur ambition est de s’aller battre pour elle. Leur idéal est celui auquel Froissart dédiera ses Chroniques : prouesse. « C’est une si noble vertu et de si grande recommendation que on ne le doit mies passer trop briefment, car elle est mère matériele et lumière des gentilz hommes, et si com la busce ne poet ardoir sans feu, ne poet le gentilz homs venir a parfait honneur ne a le glore dou monde sans proëce. » Amour de la terre natale, bravoure guidée par l’honneur, épurée par le respect de la faiblesse, tel est chez nous le fonds premier. Notre idéal est d’abord l’idéal chevaleresque.

J’aurais souhaité qu’on détachât pareillement un fragment de nos interminables Mystères. Boileau les jugeait insipides, mais ils passionnèrent la société du moyen âge : en faisant descendre le ciel sur la terre, ils mettaient sous ses yeux, réalisé et matérialisé, son rêve pieux. A leur défaut, on nous dira sans doute la ballade que Villon fit à la requête de sa mère pour prier Notre-Dame. Cette mère du poète était une femme du peuple et ne savait pas lire dans les livres ; quel besoin en avait-elle, puisqu’elle pouvait déchiffrer aux vitraux des cathédrales le grand livre divin ? Elle non plus, la foi de nos pères n’a pas trouvé dans notre langue du moyen âge les mots qui convenaient pour égaler sa ferveur et son élan. Mais les mots ne sont pas le seul signe dont l’homme dispose pour fixer ses sentimens sous l’aspect de l’éternité. L’art est pour les peuples un moyen d’extérioriser leur âme qui ne le cède en rien à la littérature. Or, tandis que la littérature, chez nous, tardait à se débrouiller, un art atteignait à sa perfection, et c’est celui qui contient tous les autres, le seul art complet : l’architecture religieuse. Elle a fait jaillir de notre sol cette blanche végétation dont on a dit si justement qu’elle lui donne sa physionomie morale. Formée par le christianisme, qu’en échange elle a pénétré de son esprit, la France restera toujours la France des cathédrales. Si nous avons quelquefois été tentés de l’oublier, les Allemands se sont chargés de nous le rappeler. Il apparaît à tous les regards qu’ils se sont acharnés avec la pire fureur contre les monumens de notre histoire religieuse.

Un troisième trait achève de peindre le Français tel qu’il est dès le moyen âge. Ce n’est pas un grand chef-d’œuvre de l’esprit humain que la Farce de l’avocat Pathelin, surtout dans la version qu’en ont donnée Brueÿs et Palaprat au XVIIIe siècle ; et ce n’est pas le plus édifiant des spectacles. Maître Pathelin, cet avocat besogneux et fripon, peut être habile à parler, il n’est pas le vir bonus de l’adage