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une Journée Victor Hugo, une Journée Alfred de Musset et une Journée des poètes du XIXe siècle. Ainsi les grands écrivains de la France viendront tour à tour porter témoignage pour leur pays.

Ces grands écrivains ne sont pas tous de même grandeur, cela va sans dire, et, dans le nombre, j’en aperçois quelques-uns qui semblent peu à leur place en si illustre compagnie. Sedaine, Florian, Collé ne seront peut être pas étonnés de s’y voir, mais nous le serons pour eux. D’autres, qui sont incontestablement de grands écrivains, ne nous apparaîtront pas par ce qu’ils ont de vraiment grand : ce n’est pas par leur théâtre que La Fontaine et Voltaire sont immortels. D’autres enfin brillent par leur absence, et ce sont justement ceux qui auraient le plus à nous apprendre sur la pensée française : une liste de grands écrivains français où ne figurent ni Rabelais, ni Montaigne, ni Bossuet, ni Jean-Jacques Rousseau, ni Chateaubriand, est. de toute évidence, une liste où il y a des lacunes. Mais c’est qu’ils ont écrit en prose et n’ont pas porté leur prose au théâtre : ce n’est pas la faute de la Comédie-Française. Dans un théâtre, on ne peut que jouer des pièces de théâtre et dire des vers, on n’admet que les auteurs dramatiques et les poètes. Prenons donc ce que nous donne la Comédie, au lieu de regretter ce qu’elle ne pouvait nous donner. Au surplus, rien n’empêchera le spectateur de faire un léger effort de mémoire et de restituer, autour d’une pièce de vers ou d’une pièce de théâtre, le mouvement d’idées auquel la rattachent des liens apparens ou cachés.

Tel qu’il est, ce programme présente un grand intérêt et qu’on nous offre trop rarement : il permet d’embrasser du regard un ensemble et d’y suivre le développement historique d’une idée. En d’autres temps, on se serait plu à y étudier par quels chemins la farce gauloise nous mène à la comédie de Molière et la tragédie de Jodelle à celle de Racine, ou encore de Villon à Musset et de Ronsard à Victor Hugo quelle conception différente nos poètes se sont faite du lyrisme. C’est ce que F. Brunetière appelait les « Époques du théâtre français » et l’ « Évolution de la poésie lyrique, » en deux livres d’une admirable ingéniosité. Aujourd’hui, nous sommes moins attentifs à la classification des œuvres qu’à leur signification profonde. Nous y cherchons l’idéal que chacun de nous porte au fond de lui-même. Il ne s’est pas formé en un jour : mille voix lointaines s’y répondent, dont l’écho s’est prolongé jusqu’à nous. Il ne s’est pas développé par une progression continue : il y a eu des reculs et des erreurs. Mais sous les acquisitions successives on découvre le fonds permanent qu’elles sont