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et nous nous contentions d’essayer de nous délasser en allant et venant du compartiment au couloir et du couloir au compartiment. En même temps, ces dames abaissaient les glaces, et distribuaient tout ce qui leur restait de vivres et de fruits aux soldats qui les remerciaient de la main et du sourire. L’ouvrier leur lançait des cigarettes, et l’Anglaise vidait ses paniers au profit de ses compatriotes dont les figures rayonnaient à son accent. Au bout d’une heure, nous n’étions pas encore repartis, et l’ennui d’attendre, le bourdonnement de cohue nocturne où se prolongeait notre interminable station, le fond d’angoisse que cette effroyable guerre entretenait au fond de chacun de nous, la sensation même de la nuit qui serre toujours un peu l’âme, finissaient par produire sur nous leurs inévitables effets de tristesse et d’énervement... Enfin, nous nous remettions en route, et le train, lentement, fendait de nouveau toutes ces masses fourmillantes dont les hommes arrivaient du feu ou se préparaient à s’y rendre.

Il était minuit passé...


De plus en plus fatigués par le voyage, nous avions, un peu plus tard, dix fois repris ou laissé tomber la conversation... Brusquement, un bruit de chute nous faisait tous sursauter, et il nous semblait voir comme un gros projectile traverser le compartiment. C’était un des sacs de l’Anglaise qui venait de rouler du filet, heurtant assez fortement le jeune homme si angéliquement endormi et, dans notre besoin de détente nerveuse, l’incident provoquait un rire général. Mais la jeune ouvrière s’était déjà empressée de remettre le sac à sa place, pour en éviter la peine à l’inspectrice peu ingambe et toute confuse de l’affaire. Puis, le jeune homme se réveillait au milieu de nouveaux éclats de rire, et sa mère lui disait, une fois la gaité passée :

— Eh bien ! tu viens de faire un fameux somme !

— Ah ! monsieur, s’écriaient ces dames, si vous saviez comme nous vous envions !

— Où sommes-nous ? demandait le dormeur d’un ton vague.

— Mais nous venons de passer Châteauroux, lui disait sa mère... Est-ce que tu dors encore ?... Mon Dieu, as-tu de