Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Georges continuait à secouer la tête, et un combat de générosité se livrait ainsi entre le frère et la sœur. A la fin, il cédait et, malgré sa carrure, paraissait en effet assez maladif. Les joues creuses, l’œil fiévreux, il laissait tomber sa tête avec lassitude sur le dossier de la banquette, et pâle, presque défait, fermait les yeux et s’endormait..

En somme, toute cette famille, à présent qu’on la voyait mieux, ne donnait pas l’idée de mauvaises gens. Sous son chapeau fripé et ses cheveux dépeignés par le voyage, la mère, avec ses yeux à la fois craintifs et expansifs comme en ont beaucoup de bonnes femmes du peuple, avait la meilleure figure du monde. De physionomie douce et ouverte, la jeune fille avait une tenue des plus correctes, et son insistance à donner sa place à son frère souffrant, comme la résistance du jeune homme à la prendre, intéressaient également en leur faveur. Quant au père, son autoritarisme sans façon, ou à la façon populaire, pouvait fort bien être simplement d’un bonhomme sans gêne et un peu rude, mais tout franc et tout rond, et qui était, après tout, resté poli. Enfin, sa réclamation d’un coin de banquette pour son fils se justifiait, et un revirement sensible, à les regarder, s’opérait peu à peu maintenant dans l’esprit des deux femmes du monde. Désolées, de leur côté, de ce qui s’était passé, la mère et la fille semblaient plutôt, à présent, nous considérer en personnes qui, en nous examinant bien, ne nous trouvaient pas, elles non plus, l’air si méchant. Elles devaient songer en elles-mêmes : « En ce moment où tout le monde est frère, comment peut-on encore ne pas être d’accord pour quelque chose ? » Et c’était sans doute aussi un peu ce que se disaient ces dames : « Tout de même, songeaient-elles probablement tout bas, ces gens ont l’air de braves gens, et ce n’est pas le moment d’être dur... Bah ! nous passerons une nuit blanche, mais nous allons être gentilles... A la guerre comme à la guerre... C’était encore ce gros homme qui avait raison ! »

Combien de temps dura cette méditation en partie double ? Elle se prolongeait peut-être depuis un quart d’heure lorsque ma voisine se penchait à un moment vers la mère, et lui demandait avec intérêt ce qu’avait son fils.

— J’ai des sels, madame, ajoutait-elle discrètement, et si cela devait lui faire du bien... Voulez-vous mon flacon ?

La mère était alors toute surprise et tout émue par cette