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d’été, que l’orage s’annonce et que, pour demain, rien n’est sûr. Tour à tour inertes et fanatisées, les masses populaires ressemblent à ces mers que l’on voit endormies, lisses sous un ciel blafard. On dit : « la mer est d’huile, » et le voyageur sent jusque dans ses membres la torpeur mortelle de cette eau pesante où le sillage du vaisseau fait une coupure. Et soudain ce sont les roulemens sourds de la foudre, les vagues se gonflent, dressent leurs échines, livrent leurs assauts.

Quand on les a connus, ces Marocains, ces « Arabes, « quand ils nous ont charmés jusqu’à la séduction, par ce mélange de calme, de grâce un peu féline et de subite et mystérieuse ardeur, on songe à cette définition singulière qui a été donnée de l’homme : un animal religieux. Chez eux, cette orientation religieuse est comme un mouvement automatique de leur être : celui que leur ont donné des siècles d’obéissance et de ferveur. Il ne se lie ni à une idée claire, ni à un sentiment, c’est un sens avec lequel le fidèle vient au monde et communique avec l’univers, comme est celui de sa vue, de son odorat, de son toucher et qu’il défend instinctivement, comme on défend la prunelle de son œil. Enfant, il sent dans ses jeux sauter sur son petit crâne dénudé la mèche de cheveux réservée aux doigts de l’Ange Gabriel : il a déjà l’air fantastique d’un petit démon né pour les sabbats. Il fait sonner ses amulettes comme un chevreau ses grelots, il serre dans ses griffes de singe les talismans pleins de vertus. Il en fait des colliers pour ses chèvres. Plus tard, en balançant la tête, il apprend, dans les versets du Coran, non une morale, mais des commandemens et l’axiome unique : « Dieu est Dieu « s’adaptera sur la terre où il est né à toutes les formes d’un culte où traînent des restes de paganisme, des lueurs de mysticisme oriental, et où l’ascétisme rigoureux a sa place comme la sensualité brûlante. Tous ses appétits, sa religion les connaît et y pourvoit. « Dieu a créé deux choses pour le bonheur des hommes, dit Mahomet : les femmes et les parfums. » Et l’autre appétit de l’homme : celui des combats, de la guerre, du sang, autrefois la haine de l’idolâtre l’entretenait ; aujourd’hui, la haine du chrétien, attisée par les maîtres, l’aiguise. Le musulman africain se développe tout entier dans sa religion, avec ses qualités et ses tares comme un enfant dans le sein obscur de sa mère.

Affilié aux confréries, asservi par elles, à genoux devant les