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ESQUISSES MAROCAINES.

une conception humaine et juste de la prière et du devoir. Il ne franchissait qu’un degré, mais ce degré faisait bien partie de l’échelle sur laquelle les hommes montent de la terre au ciel. Il entendait le conseil, il suivait l’exemple de Celui qui a dit : « Je suis la voie. »

Quelle mère heureuse de sa maternité ne se rappelait l’image de la Vierge nimbée d’or, si pure et si douce, dans son manteau bleu semé d’étoiles, et quelle mère douloureuse ne se souvenait de la mère de douleur, de la mère des mères, debout sous la croix ? A tous les détours de la vie, le miroir divin était là qui présentait à l’homme une image transfigurée de sa condition. Chaque manifestation du fini se prolongeait lumineuse et idéale dans l’infini. Et avant de sentir ses yeux noyés dans les ombres, le mourant, penché sur ce miroir, y voyait, dans la gloire de l’au-delà, le visage rayonnant du Ressuscité.

Si l’on s’aventure à parler ici du Christianisme, c’est pour mettre en regard les méthodes, et, de part et d’autre, la démarche de l’esprit qui aspire au divin. Pour analyser le phénomène mystique qui s’accomplit chez nos khouans, lorsqu’ils attendent l’Invisible, lisons les préceptes du cheikh Senoussi lorsqu’il invite les adeptes « à voir la vérité se manifester dans tout son éclat. » « Tantôt, dit-il, on la verra apparaître sous la forme de choses inanimées, comme le corail, tantôt sous celle de plantes et d’arbres tels que le palmier, tantôt sous celle du cheikh. Ces sortes de visions ont causé la mort d’un grand nombre de personnes.

« Mais l’adepte qui a traversé cette vision jouit ensuite de la manifestation d’autres lumières qui sont pour lui le plus parfait des talismans.

« Le nombre de ces lumières est de soixante-dix mille ; il se subdivise en plusieurs séries et compose les sept degrés par lesquels on arrive à l’état parfait de l’âme. :

« Le premier de ces degrés est l’humanité ; on y aperçoit dix lumières, leur couleur est terne.

« Le second degré est celui de l’extase passionnée ; dix mille autres lumières sont inhérentes à ce second degré : leur couleur est bleu clair.

« Le troisième degré est l’extase du cœur ; il permet de voir les génies et tous leurs attributs. »

De degré en degré, d’extase en extase, les lumières se révèlent :