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la plus méritoire consiste à préserver son âme de toute aspiration vers autre chose que Dieu : qu’il soit exalté ! »

Ainsi le Saint s’affranchissait du pouvoir, s’opposait à lui, séduisait les pauvres. Les Ulémas ouvraient le Coran pour y relire de leurs yeux mécontens le verset où, sous la dictée de l’ange, le Prophète avait écrit : « Je crains moins les ennemis de la religion que j’ai établie que les chefs religieux que le temps doit amener. » Ils voyaient là la menace prophétique qui les fortifiait contre les nouveaux venus, les rendaient sourds à toute tentative de conciliation, obstinés dans leurs erremens. Et les foules subissaient l’attrait magnétique que confère une puissante vie intérieure. Autour du Saint, autour des saints, on se groupait. Partout où ils résidaient, autour des zaouïa où ils se retiraient avec des disciples, partout où ils passaient, naissait et se propageait un mysticisme sporadique, inégal, qui ne se définissait pas clairement dans une doctrine, mais s’alimentait surtout de ferveur, du sentiment de la force immense que donne le nombre, la discipline, la fraternité. La confrérie se fondait : la zaouïa où résidait le saint en était le siège. Puis, les successeurs du saint enseignaient le verset dans lequel le Saint avait fixé la forme de la prière. C’était là le secret, et pour ainsi dire le philtre producteur d’extase et de vertu. Lui aussi, le saint comme le marabout, laissait sa relique, mais une relique spirituelle : ce « dikr, » ces versets où le nom de Dieu résonne comme un battant d’airain sur une cloche sonore :

« Il n’y a de Dieu que Dieu, » disait la prière, et puis, « cent fois Allah ! » « O maître des deux mondes, ô notre Dieu, faites- nous vivre dans le bonheur. O Maître des deux Mondes, que le salut soit sur les envoyés de Dieu ! » et « cent fois Allah. » La voie était ouverte, la voie sacrée le long de laquelle on voyait luire comme des flambeaux les attributs de Dieu.

« Il n’y a de Dieu que Dieu : le vrai, le certain.

« Il n’y a de Dieu que Dieu : le vrai, le fort.

« Il n’y a de Dieu que Dieu : le vrai, le certifié.

« Il n’y a de Dieu que Dieu : le seul, le victorieux.

« Il n’y a de Dieu que Dieu : le fort par excellence, le Miséricordieux. »

A mesure qu’on avançait, les flambeaux se multipliaient.

« Il n’y a de Dieu que Dieu, l’Unique, » disent les disciples d’El-Doukali. « Nous faisons cette dernière invocation sans