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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

l’Église triompha doublement de l’Empire, et ce fut le Grand Interrègne. Mais ces deux cents années de guerres religieuses (1024-1250) se continuèrent en trois siècles de luttes cléricales pour aboutir à la destruction de la res publica chrétienne, à la scission allemande de Luther, à la Réforme (1250-1525).

Comme fruit du Regnum germanique, l’Allemagne avait eu la guerre civile et familiale ; comme fruit de l’Imperium, on eut la guerre religieuse et étrangère. Une Royauté déconsidérée, dépouillée de ses droits, pouvoirs et revenus par tout ce qui possédait et maniait une arme, — un Empire dépecé en une multitude de souverainetés quasi absolues, quasi indépendantes, — une Église à moitié dissoute déjà par l’instinct particulariste de cette éternelle Allemagne : voilà ce qu’en terres germaniques l’œuvre de Charlemagne donnait entre les mains du dernier des grands Empereurs et Rois, Frédéric II de Hohenstaufen (1218-1250), à l’heure même où elle donnait en terres françaises la royauté impériale, nationale et chrétienne de saint Louis (1226-1270).

Mais c’est alors que, des universités d’Italie et de France, le légiste, apportant les nouvelles conceptions qu’il empruntait au droit laïque des Romains, fournit à tous les États modernes leur double fondement du Prince et des Bureaux. On connaît les services que le légiste rendit à la France, à la grandeur de sa dynastie, à l’unité de sa nation : du fils de saint Louis, Philippe le Bel, à son dernier « petit-fils », Louis XVI, le légiste fit de la royauté française la plus absolue et la plus nationale tout ensemble, de la France la plus moderne des royaumes, et de la nation française, la moins mécontente et le plus fière de son destin. Mais, en terres germaniques, chaque peuple, chaque canton, chaque seigneurie voulant avoir son Prince et ses Bureaux, l’Empire unitaire dut céder la place à une anarchie de principautés toujours rivales, toujours armées pour le combat entre voisins, toujours prêtes à l’alliance avec l’étranger, parfois confédérées de nom, rarement alliées de cœur, — et ce fut pour l’Allemagne entière les six siècles de guerres princières, au-dessus desquelles planait l’arbitrage impuissant de la dynastie autrichienne, dans lesquelles intervenaient tour à tour les armées de l’étranger.

De 1250 à 1815, il serait plus facile de compter les années où l’Allemagne ne fut pas envahie, ravagée, où l’Allemand