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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

peut estimer qu’elles comptaient environ 400 000 hommes : ce, chiffre suffisait à un État dix fois plus étendu que la France actuelle ; c’était un soldat pour trois cents habitans. Les soldats servaient vingt ans en moyenne : il suffisait d’un enrôlement annuel d’environ 30 000 conscrits pour tout l’Empire. » La Gaule n’étant pas même un sixième de l’Empire, c’est tout au plus 6 000 conscrits que Rome lui demandait chaque année. Faites la somme : durant les quatre cents ans de la paix romaine, la Gaule n’eut pas à fournir les 2 500 000 hommes que l’Empire allemand vient d’obliger la France à mettre en ligne pour la seule campagne de 1914.


Il en est toujours résulté pareillement certains caractères spécifiques de l’État allemand, de l’Empire allemand. Voici quelques-uns de ces caractères.

Le premier est que là-bas l’État, cadre de la nation, n’a jamais pu être que d’origine et de nature militaires : c’est la force militaire qui, seule, peut le créer, la force militaire qui, seule, le maintient. D’autres sentimens peuvent exciter dans l’âme germanique la tendance ou la résignation à l’union nationale. Deux seulement peuvent l’imposer : la crainte du maître étranger ou le respect du vainqueur national. « L’Empire allemand du Moyen Age, dit M. de Bülow, n’a pas été fondé par la libre adhésion des peuplades, mais par la victoire d’une de ces peuplades sur les autres, qui longtemps ne reconnurent qu’à contre-cœur la domination de la plus forte… L’unité actuelle de l’Allemagne n’a pas été obtenue par un accord pacifique, mais par des batailles entre Allemands : l’Ancien Empire avait été fondé par une peuplade supérieure en forces ; le Nouveau a été fondé par le plus fort des États. »

Mais, dans la mêlée des peuplades germaniques, que l’invidia particulariste et les rivalités personnelles dissolvent chaque jour en un plus grand nombre de clans et de bandes, aucune peuplade ne put jamais avoir par elle-même la force militaire qu’eût exigée cette œuvre nationale. Dans la forêt morcelée et de sol pauvre, aucune clairière n’était assez grande, assez riche pour devenir la base de « l’État allemand. » Chaque peuplade, loin de pouvoir imposer sa loi à tout le voisinage, avait assez de peine à soutenir son propre État, petit ou grand, contre les empiétemens du voisin. D’où le second caractère de tout