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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

manique, tira toujours un ordre temporaire, dont le lent travail ou quelque subite explosion du tempérament germanique refaisaient bientôt un chaos.

Produit soudain de quelques volontés humaines, l’ordre politique établi là-bas n’a jamais eu chance de durer que sous un chef de guerre, imposé aux sursauts de la masse par la crainte de l’invasion ou par les bénéfices de la conquête. Même après les victoires triomphales, ce chef n’est toléré par « l’envie » nationale que si, tenant toujours ses Germains en haleine et leur fournissant « l’occasion de montrer leur force, » il détourne du dedans vers le dehors les explosions du volcan jamais endormi. Cataclysme politique au dedans ou offensive nationale au dehors : l’Allemagne a toujours eu besoin de passer sur elle-même ou sur le voisin son furor teutonicus, son invidia de destruction, sa Schadenfreude (plaisir de nuisance). Dans toute l’histoire germanique, regardez l’alternance : la Germanie n’est une nation disciplinée que sous un chef de guerre en campagne ; la paix assurée ou seulement prolongée en refait toujours une cohue de peuplades ennemies.

Avant l’ère chrétienne, le monde antique ne la connut que comme une impénétrable forêt où s’agitait et se battait, dans les clairières et les marécages, une cohue d’irréconciliables voisins ; mais il en surgissait parfois, à la lisière, une nuée de combattans confédérés sous un nom de guerre, Cimbres, Teutons, Suèves, ou sous un chef de guerre, Arioviste. La Germanie de cette première période est personnifiée dans cet Arioviste, ce chef de cent cantons, qui levait dans chacun mille guerriers pour la campagne annuelle, tandis que les autres amassaient la nourriture de l’armée. Cette première organisation germanique se dressa brusquement en terres gauloises, devant le défenseur romain de la Gaule, Jules César, et brusquement elle s’évanouit, sitôt après la victoire romaine, dès qu’Arioviste, chassé de la plaine vosgienne, eut été rejeté en terres germaniques sur l’autre bord du Rhin.

Alors, durant quatre ou cinq cents ans (50 ans avant J.-C, 400 après), l’exemple et la pression de l’Empire romain incitent la Germanie à unir ses clairières, à grouper ses peuplades, à les fondre en une res publica, copiée de cette res publica romaine, qui fait alors l’envie de toute l’humanité blanche. La Germanie de cette seconde période est personnifiée dans Marbod,