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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

ginalité et l’indépendance des différentes monarchies, et, tout en faisant de la Prusse l’État-directeur, non seulement de nom, mais aussi de fait, » Même si l’on pouvait modifier ce régime, M. de Bülow ne voyait aucune utilité à rien changer aux habitudes prussiennes. C’est sur l’Allemagne qu’il conseillait d’agir pour en modifier l’esprit. Il voulait mettre la Germanie en disposition, en nécessité de mieux apprécier le pas de parade et la stricte obéissance au Kriegsherr national : « Il faut éveiller en elle les sentimens patriotiques, les vivifier, les fixer par une politique vaillante et de grande allure, qui sache conserver dans le peuple l’amour de la vie nationale. Le point de vue national doit sans cesse être mis en avant par des entreprises nationales, afin que l’idée nationale ne cesse jamais de remuer les partis, de les unir et de les séparer. Rien ne décourage, ne paralyse et n’aigrit un peuple d’une activité intellectuelle, d’une vitalité et d’un développement pareils à ceux du peuple allemand, autant qu’une politique monotone et sans vie. Pour l’Allemand, la meilleure politique n’est pas celle qui le laisse tranquille : c’est celle qui le tient en haleine, sur le qui-vive, et lui permet de montrer à l’occasion sa force, »

Donc, l’unité allemande, fondée par le militarisme prussien, ne peut être maintenue que par des ministres « qui sachent risquer la forte mise, sauter une haute barrière » et ne jamais laisser l’Allemagne tranquille. Les conducteurs de l’Empire doivent rester toujours « assez frivoles » pour ne pas sacrifier aux considérations de prudence ou d’humanité ce vieil amour de la bataille que l’histoire et la légende ont toujours vanté chez les Allemands. « Le devoir du gouvernement impérial n’est pas de procurer de nouveaux droits au Parlement : c’est d’éveiller l’intérêt politique du peuple dans toutes les classes de la nation par une politique vivante, résolue dans le sens national, grande dans ses ambitions, énergique dans ses moyens. » Que l’on pèse tous les mots de cette formule.

En 1914-15, les XCIII Intellectuels allemands voudraient faire croire au monde que la savante, pieuse, morale et pacifique Allemagne n’a aucune responsabilité dans la guerre présente, qu’elle a répondu seulement à l’agression ou aux menaces de ses voisins jaloux, qu’elle est le champion du droit contre l’argutie anglaise et de la civilisation contre la barbarie moscovite. Dès 1913, M. de Bülow prédisait, au contraire, et récla-