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de travailler pour un parti et de combattre un adversaire. L’histoire est ainsi devenue chez nous une sorte de guerre civile en permanence. Ce qu’elle nous a appris, c’est surtout à nous haïr les uns les autres... L’histoire ainsi enseignée n’enseignait aux Français que l’indifférence, aux étrangers que le mépris. »

Cette façon d’écrire et d’apprendre l’histoire, poursuit-il, a fait surgir chez nous un « patriotisme nouveau. » Pour beaucoup de Français, « être patriote, c’est être ennemi de l’ancienne France. Notre patriotisme ne consiste le plus souvent qu’à honnir nos rois, à détester notre aristocratie, à médire de toutes nos institutions. Cette sorte de patriotisme n’est au fond que la haine de tout ce qui est français. Il ne nous inspire que méfiance et indiscipline ; au lieu de nous unir contre l’étranger, il nous pousse tout droit à la guerre civile. » Fustel aurait pu ajouter ce qu’il a d’ailleurs fait entendre : ce patriotisme à rebours nous remet à l’école de l’Allemagne ; il nous ramène dans ses bras.

Il fait observer seulement que nos plus cruels ennemis n’ont pas à se mettre en frais pour inventer, à notre endroit, « les calomnies et les injures, » ils se font l’écho complaisant de nos assertions téméraires, et tout propos, qui, par sottise, nous trahit, est propagé par eux comme un article de foi. Les plus cruelles définitions de notre société, de notre esprit, de nos tendances dangereuses, les Sybel comme les Bismarck, les ont prises chez nous. « Nous avons appris récemment que l’étranger nous détestait ; il y avait cinquante ans que nous nous appliquions à convaincre l’Europe que nous étions haïssables. L’histoire énervait chez nous le patriotisme ; elle le surexcitait chez nos ennemis. Elle nous apprenait à nous diviser, elle enseignait aux autres à se réunir contre nous, et elle semblait justifier d’avance leurs attaques et leurs convoitises. »

Quelle autre façon de faire chez les Allemands ! Leurs historiens sont disciplinés. Ils forment une armée, où les soldats travaillent au service national et sous le mot d’ordre de chefs. L’humble et infatigable investigateur ne sait pas même où il va, mais il arrive où on le mène. Point d’initiative, chez la plupart ; mais « l’effort » d’aucun « n’est perdu. » Tout ce corps savant est animé par une seule volonté ; « il n’a qu’une vie et qu’une âme. »

Quelle est cette âme ? Celle du pays. Tout au rebours de