Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensemble ? Il n’y a eu rien de pareil. Nous avions conquis une position les jours précédens, nous l’avons perdue dans des circonstances exceptionnelles qui ne nous ont pas permis de prolonger plus longtemps notre effort à travers un pays submergé ; c’est à peine si l’affaire dépasse en importance celles qui se produisent quotidiennement ici et là et où la fortune favorise tantôt nous, tantôt nos ennemis. Ceux-ci n’en ont pas moins fait grand tapage de leur victoire : ils n’ont pas hésité à la comparer à celle de Saint-Privat qui a été, en 1870, si désastreuse pour nous. A Soissons, où donc est le désastre ? Nous ne voyons qu’un échec local, partiel, qui n’a pas eu de suites. Mais si nous avons le sens de la mesure et des justes proportions, les Allemands ont la manie du grossissement : tout ce qui leur arrive leur apparaît colossal. Cette fois cependant ils ont eu un autre but, en faisant sonner leur succès, que de se complaire dans le bruit qu’ils en faisaient. Ne pouvant pas en tirer un parti militaire, ils ont essayé d’en tirer un parti politique. Ils ont annoncé à l’étranger que la bataille de Soissons était pour la France le commencement de la débâcle. Bien imprudente serait la Roumanie qui ferait cause commune avec elle ! Bien folle serait l’Italie qui commet- trait une pareille erreur ! Nous doutons que ces objurgations aient fait un grand effet à Bucarest et à Rome ; et, même en admettant qu’il y ait eu surprise le premier jour, ce jour a été sans lendemain, comme la victoire allemande elle-même. En réalité, rien n’est changé dans la situation respective des deux armées : la guerre ne sera pas près de finir aussi longtemps que l’une d’elles n’obtiendra pas de plus importans succès. Mais nous espérons bien que le moment approche où des coups plus décisifs seront portés.

En attendant, l’Allemagne se contente de victoires aériennes où elle tue quelques femmes, quelques vieillards, quelques enfans, au petit bonheur : les bombes tombent où elles peuvent du haut des aéroplanes ou des zeppelins, et ce ne sont pas elles non plus qui changeront le sort de la guerre. Les Allemands ayant à se venger des Anglais, l’ont fait à leur manière. Les Anglais avaient réussi un coup admirable en envoyant une escadrille d’avions bombarder Cuxhaven à l’embouchure de l’Elbe dans la mer du Nord. Il s’agissait là d’une forteresse couvrant un établissement militaire ; rien n’était donc plus légitime que le but que l’Angleterre s’était proposé et qu’elle a brillamment atteint. Et ce n’est qu’un commencement : l’Angleterre fera sans doute encore mieux, c’est-à-dire ira encore plus loin une autre fois.