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ministres et de généraux, ces voyages multipliés donnent, au total, une impression de désordre et de malaise. Si les choses allaient bien chez nos ennemis, si la confiance régnait, si la Hongrie n’avait rien à redouter pour elle-même et effectivement ne redoutait rien, ce spectacle ne nous serait pas donné. Que penserait-on, qu’en dirait-on si nous changions fiévreusement nos ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, sans parler de notre président du Conseil, car l’Autriche a aussi changé le sien ? Ce qu’on ne manquerait pas de dire de nous, il nous est permis de le penser des autres et d’y voir déjà un symptôme du dénouement où nous allons.

Nous y allons lentement, à la vérité, au milieu des difficultés et des obstacles, mais notre marche est sûre, et notre confiance est si forte que nous n’hésitons pas à reconnaître les accidens qu’il nous arrive d’éprouver. Comment pourrions-nous n’en avoir aucun dans une guerre qui s’étend sur un front de quatre ou cinq cents kilomètres et qui dure depuis six mois ? Ce serait miracle si nous n’y rencontrions que des succès. Nous avons eu un échec à Vrégny, dans les environs de Soissons : après un combat de plusieurs jours, nous avons abandonné quelques canons, rendus au préalable inutilisables, et de la rive droite de l’Aisne nous nous sommes repliés sur la rive gauche. La crue subite de ce cours d’eau, qui rendait précaires les communications entre ses deux rives, a été la raison principale de ce mouvement : il aurait été par trop imprudent de laisser une partie de nos troupes combattre avec une rivière débordée derrière elles, sans que nous pussions leur porter secours. Déjà l’inondation avait emporté plusieurs des ponts que nous avions jetés sur la rivière : il n’y avait pas d’autre parti à prendre que celui que nous avons exécuté. Que cette obligation ait été fâcheuse, nous ne cherchons pas à le nier, mais bien plus fâcheuses encore ont été pour les Allemands les défaites que nous leur avons infligées dans les nombreux combats où nous avons repoussé leurs furieux assauts contre notre extrême gauche. Nous n’avons cependant jamais parlé à ce propos d’une grande bataille que nous aurions gagnée et qu’ils auraient perdue : nous avons trop le sens de la mesure pour employer des expressions aussi disproportionnées. La bataille de la Marne seule a été une grande bataille : aussi a-t-elle eu une immense influence sur le reste de la campagne qu’elle a en quelque sorte conditionnée. Y a-t-il eu, en sens inverse, quoi que ce soit de comparable à Soissons ? L’ennemi a-t-il passé l’Aisne derrière nous ? Nous a-t-il poursuivis ? La situation militaire a-t-elle été modifiée dans son