Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Histoire des Romains, écrivait : « Le livre de Tacite est l’évangile historique de nos voisins et ils en ont fait sortir quantité d’admirables choses pour l’honneur de leur race. Avec une imprudente générosité, nos savans les ont longtemps soutenus dans leurs prétentions à ne voir d’autres facteurs de la civilisation moderne que le germanisme, das Germanentum, comme si le reste des nations étaient demeurées inactives et silencieuses devant la révélation nouvelle descendue du Sinaï germanique... » Il ajoutait : « La vérité est que, durant quatre siècles, cette race de proie fut le fléau du monde ; et Grégoire de Tours répond à Tacite quand il montre les instincts malfaisans et grossiers de ces hommes sans respect pour la parole jurée, sans pitié pour le vaincu, sans foi envers la femme, l’enfant et le faible... » On dirait ces lignes écrites d’hier, il me semble ; Duruy ne s’était pas trompé sur la race de proie. Les collègues de Duruy avaient été et, après lui, malgré son avertissement, furent encore menés en erreur par cette érudition d’outre-Rhin que j’appellerais volontiers, selon le mot de M. Léon Daudet, un subtil travail d’Avant-guerre.

Favorisée par notre singulière complaisance, la critique allemande arriva le mieux du monde à ses fins : elle réalisa et, par tous les moyens, elle vivifia cette doctrine mensongère d’une Allemagne qui a civilisé l’Europe, que les autres pays ont empêchée d’accomplir toute sa mission et qui, en dépit de toutes résistances, l’accomplira. Or, ne hasardons point de prophéties ; mais jugeons le passé. M. Reynaud, les érudits d’Avant-guerre ne lui imposent pas. Il a repris toute la question comme si personne ne l’avait résolue encore d’une manière ou d’une autre. Avec bonne foi, sans négliger rien, sans ménager ni son temps, ni sa peine, sans préoccupation d’aucune sorte et animé du seul désir de savoir, il a étudié une à une toutes les pièces du procès. Voici sa réponse : depuis l’origine des deux pays voisins jusqu’à nos jours, et plus ou moins heureusement selon les siècles, l’influence française, toujours active, a civilisé l’Allemagne ; tout ce qu’a de civilisation l’Allemagne, l’Allemagne le doit à la France, et la fameuse Kultur que vantent les Germains sans modestie est un cadeau de nous, un cadeau qui d’ailleurs n’a point embelli chez eux. Pour aboutir à cette conclusion, si exactement opposée à celle que constitua le patient orgueil de nos émules, tandis que nos savans ne déjouaient pas la ruse, il a fallu, — on excusera cette métaphore de guerre, — gagner, de tranchée en tranchée, les positions indispensables à une conquête de vérité : positions d’où l’ennemi nous avait délogés et qu’aussi nous avions abandonnées trop aisément. Et je reprochais à