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excellence, passa pour une invention des Germains, et à tel titre que, sous le règne de Frédéric-Guillaume IV, la cathédrale de Cologne étant restée inachevée, les « Intellectuels allemands » se cotisèrent et, de leurs deniers, payèrent les architectes et maçons qui munirent des suprêmes clochetons et flèches un chef-d’œuvre si allemand. Ce chef-d’œuvre n’était, sauf la vaine surcharge des fioritures, que la mauvaise copie de nos cathédrales. On ne l’ignorait qu’à demi ; et l’on aima cette imposture qui flattait la fatuité nationale. L’enquête ne serait pas longue pour dénicher, dans la moindre thèse d’un privat-docent, les traces de la volonté pangermaniste. Mais oui ! et tels de ces gens qui vous ont l’air de ne chercher que des étymologies, tranquille besogne, sont de faux linguistes : leur intention secrète et la récompense dont l’espoir les anime est d’enlever à la fécondité romane maints rejetons qu’ils offriront au géniteur allemand.

Tout cela, tout ce formidable travail, attifé de pédantisme et fortifié d’un appareil imposant de commentaires et de discussions critiques, c’est la science allemande, annexe de la politique allemande. Ces érudits ne sont pas les simples servans de la vérité, mais plutôt les auxiliaires d’une vérité allemande à la fabrication de laquelle ils ont collaboré puissamment, et en tapinois, et avec des mines benoîtes, comme ces autres auxiliaires du pangermanisme, les informateurs ou espions. Les uns et les autres nous ont dupés.

Si l’on veut voir jusqu’où alla cette duperie, laissons nos romantiques s’attendrir sur la sensibilité allemande : ce sont des poètes. Mais voici deux historiens, Renan et Michelet : ils applaudissent à la victoire de Sadowa, comme au triomphe excellent de la moralité allemande. Et Renan, qui passe pour connaître fort bien le moyen âge, accorde facilement que notre civilisation médiévale provient, en majeure partie, d’Allemagne. Certains phénomènes se sont pourtant manifestés plus tôt et plus complètement chez nous que chez le voisin : Renan déclare, dit M. Reynaud, que « mainte idée germanique avait rencontré chez nous un terrain plus favorable pour germer et s’épanouir que dans sa patrie première. » Cependant, on ne l’aperçoit pas en Allemagne premièrement, cette idée qui a germé, qui s’est épanouie en France. Non ; et, tout simplement, on suppose qu’elle était d’abord là-bas. Pourquoi ? C’est un hommage rendu à la bonne Allemagne. On aime l’Allemagne. Un peu plus tard, quand on cessa de l’aimer, on lui continua une déférence de qualité scientifique. M. Reynaud ne cite, parmi nos historiens, que Duruy comme ayant résisté à l’engouement germanique de son époque. Duruy, dans son