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Néanmoins, un instinct invincible de la réalité dirigeait ses démarches. Tandis que Mazzini prêchait l’insurrection dans les vallées qui surplombent le lac de Côme et se faisait fort de les entraîner en masse contre le dominateur étranger, l’homme d’Etat qui se manifestait déjà en Visconti Venosta voulut se rendre compte sur place du bien fondé de ces espérances. Il eut vite fait de constater, ayant passé hardiment la frontière pour rentrer dans la Valteline, que les Mazziniens se leurraient d’illusions. Incapable de les partager, il s’abstint de prendre part aux lamentables échauffourées de Chiavenna et de la vallée d’Intelvi. Il préféra se rendre en Toscane où il s’enrôla dans un corps de volontaires. Cette indépendance d’allure préludait à son émancipation de la lourde tutelle de Mazzini. Elle se fit toutefois attendre à peu près quatre ans pendant lesquels Visconti Venosta acheva, dans le recueillement, son éducation politique et littéraire, tout en gardant le contact avec le peuple. La séparation formelle entre cet esprit libre et positif et les aveugles sectateurs du célèbre utopiste révolutionnaire fut consommée à l’occasion de l’émeute sanglante que ce dernier provoqua à Milan en février 1853. Le disciple ne cacha nullement à son ancien chef les raisons profondes de ses dissentimens. Il lui adressa une lettre très claire dans laquelle il préconisait la fin de tout ce système de conjurations et de sociétés secrètes, qui multipliait les victimes sans parvenir à ébranler la domination étrangère.

Pour se soustraire au spectacle décourageant des représailles autrichiennes, Visconti Venosta employa une grande partie des années suivantes en de longs voyages. Il parcourut l’Italie jusqu’à l’extrémité méridionale de la Sicile et vint à Paris au moment de la guerre de Grimée. Ce fut un grand réconfort pour lui de voir un reflet des triomphes militaires du Second Empire s’étendre, avec la collaboration de la vaillante armée piémontaise, jusqu’au delà des Alpes. Le ci-devant républicain conçut alors un grand espoir en constatant l’intérêt passionné que l’empereur Napoléon III prenait visiblement aux destinées de l’Italie. Le séjour à Paris le confirma dans ses sentimens de sympathie, presque de tendresse, pour la civilisation française qui sont traditionnels en Lombardie depuis le XVIIIe siècle. A son retour en Italie, il dut bientôt faire face à une situation nouvelle, peut-être plus dangereuse pour la cause nationale