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O Nature émouvante et, si près de la mort,
Te faisant plus magique et radieuse encor,
Vêtant pour le trépas ta plus brillante étole,
Te parant pour la fin, t’ornant comme une idole,
Te portant en triomphe avant d’agoniser :
Ton suprême regard m’émeut comme un baiser.

Ah ! laisse-moi jouir de ton apothéose
Au seuil des longs frimas et de l’hiver morose ;
Mettre à profit ton règne une dernière fois ;
Suivre tes pas furtifs dans l’épaisseur des bois ;
Accueillir tes rayons ; absorber ta lumière ;
Emporter dans mes yeux sa dorure plénière
Pour me réchauffer l’âme à son beau souvenir,
Lorsque le ciel se voile et le froid va venir...
Laisse-moi m’attacher à chaque fleur qui tombe
Dans l’instant qu’elle va se perdre dans la tombe.
Fais-moi goûter, Nature, en toute piété,
Ta multiple, éphémère et riche majesté...
Que mon cœur soit l’écrin où le passé fleurisse
Dans ses matins couleur d’iris et de narcisse ;
Ses ciels où l’alouette en chantant voletait ;
Ses midis de soleil, où le blé miroitait ;
Ses soirs de vers luisans et ses nuits étoilées ;
Ses senteurs par la plaine, à l’aurore, exhalées ;
Rayons, gaîtés, reflets, murmures et chansons ;
Doux loisirs sur la mousse ; oasis des frondaisons ;
Heures de flânerie aux paisibles clairières,
Thyrses de lilas blancs et de roses trémières
Printemps qui narguait la nuit de l’avenir,
délices des jours, voici qu’il faut finir...
Sur la nef du départ où se jouait la brise.
Vos jeunes fronts, chargés de lys et de cytise,
De crocus et d’arum, se levaient, orgueilleux.
Dans un défi superbe à l’Olympe et ses Dieux.
Vous ignoriez alors votre courte durée.
Et que la mort, déjà, vous guettait, fils de Rhée,
Dans la brièveté de vos faibles instans.
Avec Octobre, but que vous fixa le Temps.