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Auprès de la chaumière, au faîte de l’ormeau
Qui sur le vieux manoir incline son rameau,
Au bord du guier jaseur dardant sa flore insigne.
Et voici que dans mon village il me fait signe.

De grands brouillards furtifs s’étendent sur les prés,
Lorsque l’aube apparaît dans les matins pourprés.
Ils couvrent l’horizon d’ivoire transparente ;
Leur blanche hermine au fer argenté s’apparente.
Dans la plaine indistincte où les noirs peupliers
Dressent leurs fûts, tels des mâts géans, par milliers ;
Ils exhalent dans l’air leur arôme de brume,
Et puis, s’effilochant, roulant leur souple écume.
Leurs houppes d’ouate ambrée autour des frondaisons
S’égrènent tout à coup, comme de faibles sons...

Et le ciel d’azur pâle apparaît. Sa nuance
Au bleu pastel ancien des La Tour se fiance.

L’heure est songeuse et grave et les bruits se sont tus.

Le peuple des oiseaux ne chante presque plus.
Les vaches dans les champs dispersent leurs sonnailles.
Devant les chais ouverts reposent des futailles,
Et l’on entend grincer le cadre d’un pressoir.
Là-bas, sur l’humus gras fouillé par le fossoir,
Un paysan s’avance, et jette, à la volée,
Le blé traçant dans l’air sa trajectoire ailée.
Au verger solitaire on a gaulé la noix.
Soir et matin, on voit flamber des feux de bois
Et danser leurs lueurs aux murs des métairies,
Dans un parfum de poire et de pomme mûries.
Au sommet d’un coteau, profilés sur le ciel,
Dix forts mulets couplés labourent ; blonds de miel,
Les sillons remués fument dans la lumière.
Un troupeau de moutons pâture la bruyère.
Brusque, un coup de fusil déchire le lointain.
La voix des chiens courans dit qu’un lièvre est atteint