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V

L’Algèbre assujettit la raison à cette discipline de fer que sont les lois du syllogisme et les règles du calcul ; nulle science n’est donc mieux adaptée à l’esprit allemand, fier de sa rigueur géométrique, mais dépourvu de finesse. Aussi l’Allemand s’est-il efforcé de donner à toute science une forme qui, le plus possible, rappelât celle de l’Algèbre. Par exemple, entre ses mains, la Géométrie s’est trouvée réduite à n’être qu’une branche de l’Analyse.

Déjà, par l’invention de la Géométrie analytique, Descartes avait ramené l’étude des figures tracées dans l’espace à la discussion des équations algébriques. A chaque point de l’espace, il nous avait appris à faire correspondre trois nombres, les coordonnées de ce point ; pour que le point se trouve sur une certaine surface, il faut et il suffit que ses trois coordonnées vérifient une certaine équation ; tout renseignement sur les propriétés algébriques de l’équation est, tout aussitôt, un renseignement sur les propriétés géométriques de la surface, et inversement ; celui donc qui est plus apte à combiner les formules qu’à considérer les assemblages de lignes et de surfaces, va se trouver grand géomètre par cela seul qu’il est algébriste habile.

Toutefois, même après l’œuvre de Descartes, la réduction de la Géométrie à l’Algèbre n’était pas absolue. Pour attribuer trois coordonnées à un point de l’espace, il fallait encore faire appel à quelques propositions géométriques, aux théorèmes les plus élémentaires sur les droites et sur les plans parallèles ; si simples que fussent ces propositions, elles impliquaient adhésion à tous les axiomes dont Euclide, au début des Élémens, réclame l’acceptation ; or pour certains, dont l’esprit géométrique souffre du moindre défaut de rigueur, cette adhésion aux axiomes d’Euclide est sujet de scandale.

Les axiomes qu’une science de raisonnement demande qu’on lui concède ne doivent pas seulement s’accorder entre eux sans l’ombre d’une contradiction ; ils doivent encore être aussi peu nombreux que possible ; partant, ils doivent être indépendans les uns des autres ; si l’un d’entre eux, en effet, se pouvait démontrer à l’aide des autres, il devrait être rayé du nombre des axiomes et rejeté parmi les théorèmes.